Épisode Quatorzième - Désordre (1/3)

Situation à la fin de l'épisode précédent: Nous sommes le soir d'Halloween. Josh est figé dans l'entrée de son salon, bouche bée. Dwight, quelques pas derrière, tient une Vik menottée et statufiée dans une expression de terreur intense.

- Avant toute chose, j'ai juste une question : de quoi j'ai l'air ?

C'est une jeune femme qui a pris la parole. Une jeune femme à peine plus jeune que moi, humaine autant que je peux en juger, et que mes yeux ne peuvent s'empêcher d'examiner des pieds à la tête. Des Converses aux couleurs inversées (une noire aux bords blancs et l'autre blanche aux bords noirs, vous visualisez ?), des jambes interminables au galbe sculptural, un minishort gris anthracite tellement sur mesure qu'on se demande si ses poches ont réellement une fonction autre que décorative, un débardeur gris clair ajusté à la perfection, des mitaines à rayures noires et blanches montant jusqu'aux coudes grâce à un entrelacs de fines lanières de cuir, des lèvres qu'on pourrait croire dessinées au pinceau s'entrouvrant sur un sourire millimétré, un petit nez discret, des pommettes hautes et tranchantes, de longs cils et de délicats sourcils entourant de grands yeux d'un gris ambré dans lesquels on se noierait facilement, une chevelure blonde à aveugler tant elle est proche du blanc descendant jusqu'aux omoplates, le tout sur une peau claire sans le moindre défaut et des formes proportionnelles au nombre d'or.

L'inconnue me dévisage sans aucune gêne, du haut de ses 1 m 60 à tout casser. Vous vous souvenez de ce que j'ai dit à propos de Zarah, qui était une fleur délicate, pas le genre de fille à faire de la boxe Thaïlandaise, à avoir des cicatrices et à les revendiquer ? Et bien la nouvelle venue est exactement ce genre de fille, ça émane d'elle comme la lumière du Soleil. Elle est de celles auxquelles on pense sans jamais les aborder, de celles qu'on ne croise de toute façon jamais, qui sont issues de l'imaginaire trop développé des cinéastes et qui sont par conséquent toutes des dérivés. Mais elle, elle est humaine, je le répète. Que fait-elle dans mon salon et comment est-elle entrée ?

Luther est posé sur ses bras croisés, tranquille. Il ronronnerait s'il le pouvait. À part lui, tout semble être à la place où on l'a laissé en partant. Ceci dit, dans un tel bazar, c'est difficile d'être tout à fait sûr. Je me rends compte que j'ai retenu ma respiration tout ce temps et juge plus sage de la reprendre avant de devenir bleu. J'évite tout de même d'ouvrir et de fermer la bouche comme un poisson hors de l'eau, quoi que ça conviendrait non seulement à mon asphyxie involontaire mais aussi à mon incompréhension : en quelle langue a-t-elle parlé ? D'après l'intonation, c'est une question, mais à part ça, joker.

- Er, bonjour ! En gros, la d'moiselle te d'mande, j'cite "de quoi j'ai l'air". C'du Français.

Dwight passe avec difficulté la tête par l'embrasure de la porte, Vik, qu'il tient toujours par les menottes, refusant catégoriquement de s'écarter du seuil de l'appartement. Le Jumper salue l'intruse (qui lui répond par un hochement de tête) et m'explicite ce qu'elle vient de me dire.

- Hein ? Tu parles Français ?

Je fais volte-face dans sa direction. J'en apprends tous les jours, avec lui.

- Et Russe, et Espagnol, et Italien, et All'mand, et Chinois. Et presque l'Japonais. Pourquoi ?

Je hausse les épaules. Je ne m'étais jamais demandé s'il était polyglotte, c'est tout. D'un autre côté, c'est logique, avec tous les voyages qu'il a dû faire.

- Hem hem.

Je reporte immédiatement mon attention sur l'étrangère. Polie, elle fait semblant de s'éclaircir la gorge pour me faire remarquer son impatience.

- Pourrais-je d'abord savoir à qui j'ai l'honneur ?

Je lui accorde un sourire avenant, en espérant qu'elle parle aussi l'Anglais et non pas uniquement le Français. Elle me retourne un rictus mi-figue mi-raisin.

- Ton ami ne l'a pas traduit, mais j'ai aussi précisé "avant toute chose".

Mais ça va plus loin que parler deux langues : elle n'a aucun accent, pas même le plus infime !

- Au temps pour moi. Tu as l'air grandiose.

Ça crève les yeux alors si c'est tout ce qu'elle demande, on ne va pas la contrarier. C'est que j'ai autre chose à faire, moi, que de tailler la bavette avec qui que ce soit qui n'est pas dérivé !

L'intéressée arque ses sourcils et penche la tête sur le côté, comme si c'était son tour de ne pas comprendre les mots sortant de ma bouche. Puis, lentement, elle émet un long "oh" silencieux et éclate de rire. Elle laisse échapper deux ou trois éclats retentissants puis se stoppe net, de nouveau sérieuse, comme ça, d'un coup, abruptement. C'est une sonorité très machiavélique.

- J'oubliais à quel point vous pouviez être stupides.

Ce dernier mot est martelé. Elle se donne une tape sur le front, très théâtrale.

- Pardon ?

Je ne la suis pas du tout. Et vous ?

- Quand je dis de quoi j'ai l'air ce n'est pas…. rhô, laisse tomber. Dis-moi si tu trouves que j'ai l'air d'une amie ou bien d'une ennemie. Sans tenir compte du fait que tu es toujours en vie ou de la conversation qu'on vient d'avoir. Dis-moi simplement ce que ta toute première vision de moi t'a instinctivement inspiré.

J'hésite à appeler l'asile psychiatrique. Personne, même parmi mes protégés, ne m'a jamais autant fait tourner en bourrique.

Je m'attarde cependant à répondre à sa question, qui a le mérite d'être inhabituelle… et je découvre avec étonnement que je n'ai pas de réponse. Elle est splendide, mais ça peut s'interpréter comme un danger. Son expression faciale n'est ni belliqueuse ni amicale. Ou alors peut-être est-elle les deux ? Sa posture est totalement ambigüe, simplement debout, l'air aussi tendue que relaxée. Elle pourrait bondir tout comme s'asseoir. Luther a grimpé sur son épaule mais après tout ce n'est qu'une tortue, je ne peux pas le considérer comme un facteur quel qu'il soit. Je cherche, je cherche, sans trouver grand-chose de convaincant. Une idée, bien que peu reluisante, me vient à la dernière minute :

- Mercenaire.

Je ne prends même pas la peine de faire une phrase.

- Quoi ?

On dit "comment" ou "plaît-il", quand on est éduquée.

- Mercenaire. Tu as l'air d'une mercenaire. Je ne sais pas quoi te dire d'autre.

C'est sûr à 100%, même avec cette étrange conversation : cette jeune femme est tout sauf un dérivé. Sinon, j'aurais cette connexion que j'ai toujours, au lieu de cette envie de m'enfuir en courant.

- Ah.

Elle se mord la lèvre inférieure. Je crois entrevoir un filet de sang mais sa langue passe trop vite pour que je puisse en avoir la certitude.

- Ah ?

J'écarte les mains, signe que je suis perdu. Je commence même à m'inquiéter. Pour elle ou bien pour moi, je l'ignore.

- Pas mal. On a rarement fait mieux.

Son regard transpercerait avec aisance un mur de béton armé doublé d'un blindage d'acier.

- Mieux que quoi ?

Et mieux par rapport à quoi, aussi ? Elle me fait décidément perdre mon temps.

- Eh bien, que "mercenaire". Ta réponse est la plus proche de la vérité qu'on ait pu me donner.

Elle sourit. Et ça n'a rien à voir avec aucun des sourires de June. C'est plus beau et plus effrayant en même temps. Cette fille est plus que bizarre, je vous assure. Elle file chair de poule et suées simultanément.

- Et qu'est-ce que j'ai gagné ?

Le droit d'avoir son identité, peut-être.

- J'ai un petit détail à régler avant de prolonger cette discussion.

Elle lève un index pour me faire patienter, se saisit de Luther sur sa clavicule et le dépose délicatement sur la table basse, lui disant au revoir d'un petite caresse sur la carapace.

Puis, d'une démarche chaloupée, ondulée, pas vulgaire mais mi-provocatrice mi-prédatrice, elle s'approche de moi. Doucement. Très doucement. Trop doucement. Ses pieds ne font pas le moindre bruit en se posant sur le sol. Elle colle son visage à moins d'un centimètre du mien, sans que j'ose bouger. Je me concentre sur mes inspirations et expirations ; ça a toujours fonctionné jusqu'ici dans ce type de situations. Mon regard, en revanche, est inexorablement happé par le sien. Voir mes iris trembler sous le charisme des siens semble l'amuser grandement. Elle croise ses bras derrière ma nuque. Ses bras qui, faisant fi des lois de la pesanteur, ne pèsent rien. Ses bras qui, comme s'ils étaient à température ambiante, ne dégagent ni chaleur ni fraîcheur. Je sens encore moins son souffle, qu'elle n'a pourtant pas l'air de retenir.

Et elle lève le genou. Vite et fort, sans que je puisse l'éviter. Aouch. Un pic de douleur aiguë me traverse de haut en bas et je me plie en deux, comme n'importe quel représentant de la gent masculine le ferait (à moins d'être atteint d'une Insensibilité Congénitale à la Douleur). Je tombe à genoux, recroquevillé sur moi-même, haletant pour de l'oxygène. Je lève vers elle un regard inquisiteur et un tantinet apeuré.

- Jamais. Jamais tu ne penses à moi comme tu l'as fait tout à l'heure, Lil'Hu. Jamais. Je suis venue plus ou moins pour te protéger, donc certainement pas pour ajouter des dangers à la liste de ceux que tu coures déjà. Et chacun sait combien il est dangereux quand il est jaloux.

Elle prononce à mi-voix une imprécation inintelligible, en Français je suppose, et secoue la tête de gauche à droite.

- Et quand je dis jamais, c'est jamais, quoi qu'il arrive, quoi que je porte, où qu'on soit, quoi que je dise, quoi que je fasse, même si ma langue est sur la tienne, même si je te chauffe à blanc et même si c'est la fin des univers dans une seconde. Jamais. Compris ?

Elle ne se penche même pas pour me regarder quand elle me parle, elle préfère contempler le plafond, pas le moins concernée du monde par mon sort. Je vois des points lumineux scintiller devant mes yeux et je n'ai pas réussi à saisir la moitié de son discours, mais message reçu. Je hoche faiblement la tête, toujours en souffrance. Elle n'y est pas allée de main morte. Mais c'est qui, cette dingue ?

Elle m'aide finalement à me relever en me tendant une main gantée, ou plutôt mitainée, si le mot existait. Dès que je suis debout, la douleur s'est résorbée. Que s'est-il passé ? Je ne comprends décidément pas. Ce genre de sensation ne disparaît pas comme ça, c'est bien connu. M'aurait-elle soigné ? Sans lumière, sans manifestation thermique, sans rien ? Je recule d'un pas. Elle l'a forcément fait, aussi difficile à croire que ce soit. Et son sourire ! Son sourire est bien pire que celui qu'arborait Vik dans le parc. Plus carnassier encore, peut-être à cause de l'ombre de canines inhumaines qui y flotte. Je recule d'un pas.

- Ben alors, Lil'Hu, un souci ? J'ai pourtant trouvé ma lettre, donc leur coursier n'a au final pas tout foiré, et tu l'as bel et bien reçue.

Un bref coup d'œil et je remarque la présence de la missive cachetée sur la table basse, près de Luther. La Panthère Ailée ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé avant ? Parce que j'étais persuadé que cette jeune femme n'était pas un dérivé et que la Panthère en était un, elle. Sur laquelle de ces affirmations me suis-je planté ?

- Comment fais-tu ?

Wendy avait pu dissimuler son état de dragon des glaces sous forme humaine, peut-être en est-il de même pour ma créatrice. Mais elle m'a tout de même guéri sous cette apparence ! L'expression d'un pouvoir, quel qu'il soit, émet un signal magnétique très reconnaissable, quand bien même le dérivé lui-même est caché à mon sixième sens.

- Tu veux dire comment se fait-il que tu ne puisses pas me ressentir ? Mais parce que je ne suis pas un dérivé, voyons. Je suis au-dessus de ça.

Et dire que j'ai d'abord cru qu'elle était plus jeune que moi.

- Wow.

Je ne m'attendais pas à ça. Mais alors pas du tout. J'aurais sans doute été moins surpris par un grand spectacle, une créature monstrueuse et gigantesque, couverte de fourrure et de piquants, avec des appendices divers et variés, un dérivé avec toute une armée en guise d'escorte. Alors que là, une bombe de beauté et de sensualité à l'apparence humaine, seule, avec aucun signe extérieur de sa véritable nature, c'est… angoissant.

- Au fait, je vais te simplifier la vie, je m'appelle LeX. Singe Sans Âme est mon nom officiel pour signer des pactes à la con, et Panthère Ailée a été trouvé au fil des siècles par les rares témoins de mes apparitions. La nuit ces abrutis ne savent pas faire la différence entre une panthère noire et une panthère nébuleuse. Tu te rends compte ? Comme si j'allais être tout en noir. Ew…!

Elle fait un grimace de dégoût.

- …

Son débit de parole est beaucoup trop élevé pour la suivre. Je n'ai sorti du lot que son prénom. LeX. C'est joli. Et agressif. Bref, équivoque, comme à peu près tout chez elle. Non, pas à peu près. Tout chez elle est effectivement équivoque.

- Lil'Hu ? T'es bloqué ?

Elle passe sa main à plusieurs reprises devant mes yeux. Je m'ébroue du mieux que je peux.

- Lil'Hu ?!

Qu'est-ce que ça signifie ? Encore du Français ? Ça fait plusieurs fois que je l'entends m'appeler ainsi.

- C'est mignon, non ? En t'observant, ça ne m'a pas pris longtemps pour le trouver. Ce sera ton appellation de Magnet, comme Gold ton père ou Copper ta mère. Ça vient de Little Human, Petit Humain. Parce que tu es jeune et désespérément humain. Plus que quiconque ne l'a jamais été, même parmi les Magnets…

Mignon ? Elle est sûre ?

- Et je n'ai pas le choix ?

C'est plus fort que du roquefort.

- Attends, elle serait où ma part de fun, si je n'avais pas un peu d'influence sur vous ? Je vous ai déjà créés suffisamment indépendants comme ça.

Fun ? Mais elle est complètement cinglée ! Sortez-moi de là !

- Si tu n'es pas un dérivé, qu'est-ce que tu es ?

Je m'arrange pour conserver ma distance de sécurité par rapport à elle, qui ne s'en formalise pas du tout et déambule dans la pièce en frôlant la tranche des livres du bout des doigts.

- Fondamentalement, je SUIS un dérivé. Pour preuve : je suis née, j'ai vécu, je suis morte, et pourtant je suis là. Mais comme je vous ai créés, je ne me suis pas moi-même enregistrée dans votre répertoire. Ce serait d'un pathétique !

J'ai déjà entendu cette exclamation il y a peu de temps. Viky l'a dite à propos de ces Converses dépareillées. Tiens, encore un point commun entre les deux jeunes femmes. Ce qui me rappelle la présence de la Botaniste et de mon Tuteur de l'autre côté de la cloison…

- Dwight !

Il est extrêmement rare qu'il ne se fasse pas remarquer pendant aussi longtemps. D'autant qu'en l'occurrence, je l'ai totalement délaissé au profit de ma "convive", ce qui aurait dû titiller sa susceptibilité. Je me retourne et remarque qu'il n'est plus là où il était quelques minutes auparavant. Mort d'inquiétude, imaginant tous les scénarios les plus absurdes, je me jette dans le couloir… pour le découvrir, non sans soulagement, endormi avec Vik, à même le sol. Malgré la facette insolite de la situation, je ne peux pas m'empêcher de les trouver mignons, tous les deux, dans les bras l'un de l'autre, sommeillant paisiblement. Ces deux-là font tellement de dégâts éveillés…

LeX se profile dans mon dos, leur jetant un bref coup d'œil par-dessus mon épaule, s'assurant tout simplement de leur état après les avoir anesthésiés de la sorte. (Les Botanistes ne dormant pas, elle est forcément responsable de ce petit roupillon.) Au bout d'une très petite minute d'attendrissement de ma part et d'indifférence de celle de mon inventrice, appuyée au mur avec toute la nonchalance qu'on peut mettre dans cette posture, cette dernière s'impatiente et m'écarte de son passage pour prendre Vik dans ses bras et la transporter sur le canapé du salon, comme si elle ne pesait rien. D'une brutale commande télépathique, elle m'ordonne de faire de même avec Dwight dans mon lit. J'obéis sans discuter, mais me masse les tempes avec insistance une fois de retour dans le salon.

Les liens de Vik ont été retirés et déposés sur une étagère. Ma créatrice est vautrée dans un fauteuil, d'une manière très Dwightesque, les jambes balancées par-dessus un accoudoir, les pieds dans le vide. Je suis déçu que mon Tuteur ne soit pas le seul au monde à avoir l'aplomb de se placer ainsi. Le silence règne en maître dans la pièce, jusqu'à ce que notre prisonnière se redresse brusquement, émettant un cri court mais puissant, comme après un mauvais cauchemar. Je sursaute. LeX achève de refaire consciencieusement ses lacets, comme si elle n'avait rien remarqué. Mais enfin, c'est quoi ce trip des Converses ?

- Salut, Vikt…

Tiens, une variante. Vik serait donc déjà une abréviation ? La Botaniste manque de tomber du sofa sur lequel elle se trouve.

- ************** !

Elle se lève après s'être exclamée quelque chose que je n'ai pas compris et, dans un mouvement si fulgurant qu'il m'échappe, se retrouve à l'autre bout de la pièce, acculée dans un coin. Elle avait vraiment peur ; ce n'était pas du cinéma, dans le couloir.

LeX feule, au sens propre du terme, et des crocs proéminents prennent la place de ses canines aux dimensions auparavant normales. On dirait une vampiresse mais en différent. C'est définitivement plus terrifiant. Et plus sexy aussi. Il lui faut moins d'un éclair pour rejoindre son adversaire, qu'elle plaque au mur, la prenant sans ménagement par la gorge, d'une seule main, l'autre sur sa hanche, comme un petit chef capricieux. J'ai déjà rencontré toutes sortes de dérivés, et les plus dangereux sont souvent ceux qu'on connaît mal. Moins ils sont médiatisés, plus il est périlleux de les fréquenter. Les Botanistes, les Jardiniers, et quoi que ce soit qu'est LeX, ne sont pas des espèces qu'on rencontre dans les livres ou à la télévision. Jamais. En les gardant secrets, leurs inventeurs en ont fait des dangers numéro 1. Les héros adulés par la foule ont des limites, des faiblesses, c'est ce qui les rend comme qui dirait attachants. Les races connues uniquement de la communauté dérivée n'ont pas de bornes pour les stopper. Leurs créateurs n'avaient pas besoin qu'on les apprécie.

Vous comprendrez donc que j'hésite à m'interposer alors qu'elles conversent vivement dans ce fameux langage qui m'est inconnu. Et mon petit doigt me dit que ce n'est même pas un idiome réel. Des sons rauques intercalés de tonalités mélodieuses se succèdent à une vitesse ahurissante, montant dans les aigus et descendants dans les graves sans logique apparente. Viky, pourtant de plus grande taille que son agresseur, ne touche plus le sol. Elle se débat, pas contre la strangulation qui ne peut rien faire d'autre que de couper sa totalement inutile arrivée d'air, mais contre l'emprise en elle-même, qui la prive de sa si précieuse liberté. Il est également possible que la main de la jolie blonde, aussi mitainée soit elle, lui fasse l'effet qu'à un crucifix sur un vampire. L'altercation s'arrête bientôt, anéantissant toute possibilité d'héroïsme de ma part, et chacune lâche l'autre. Vik reste dans son coin tandis que LeX tourne en rond.

- Bien. Pour la peine de m'avoir manqué de respect, tu resteras en ville tant que j'y serai. Et c'est bien parce que c'est toi que cette punition est aussi valable pour te faire pardonner par tes deux meilleurs amis, si tu vois ce que je veux dire.

Vik lui jette un regard noir. Je remarque que, maquillée autrement, elle aurait l'air moins méchant.

- Tu n'as aucun droit sur moi. Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi.

Je perçois un sentiment étrange, à l'encontre de la Panthère, émanant de la Botaniste. C'est probablement ce qui la retient de lui cracher au visage. Je n'arrive cependant pas à identifier ce que c'est. Sa terreur du corridor était en fait la crainte de l'autorité que la Panthère a sur elle, quand bien même elle le nie avec véhémence.

- Je n'ai pas plus de droits que j'en avais lorsque j'étais en vie, aux vues de la couleur de tes chaussures. J'apprécie le rappel à ce qui nous a liées, c'est très subtil d'avoir conservé ce vieux pari en mémoire, même si ce n'est pas moi qui l'ai lancé. En dehors de ça, j'ai l'équivalent de plusieurs légions qui seraient ravies de te faire un sort… Marché conclu ?

Je n'ai rien capté à cette histoire de pari et de lien, mais préfère garder mes distances, sagement. Viky pondère la question un instant, yeux dans les yeux avec celle qui un jour créa les Magnets. Puis elle hoche la tête et va jusqu'à sourire, d'une façon qui lui donne un visage d'ange. On est loin de la tueuse que j'ai rencontrée quelques heures plus tôt. Mais j'ose supposer que le fait que plusieurs légions lui en veuillent l'a aussi un peu flattée.

- C'est bien parce que c'est toi.

Elle singe le ton utilisé plus tôt par la blonde platine avec humour, s'avance, et tend son poing à cette dernière qui vient le heurter du sien. Je jurerais qu'elles se retiennent d'en faire plus devant moi.

- Bye bye, Lil'Hu. Très sympa, comme baptême. À la prochaine…

Elle ajoute ceci à mon intention, accompagné d'un clin d'œil. Elle claque des doigts et une tornade jaune vif l'emporte, sans que j'ai pu esquisser un mouvement.

LeX frotte ses mains l'une contre l'autre, comme pour en ôter de la poussière, apparemment satisfaite de son travail. Elle darde son regard gris sur moi, ce qui enclenche mon réflexe pavlovien de recul. C'est impressionnant comme j'ai rapidement associé toute approche de cette jeune femme à douleur imminente. Elle éclate d'un rire franc à ma réaction, exposant sa dentition animale. Son hilarité éteinte, elle passe sa langue le long de son arcade dentaire et a de nouveau l'apparence d'une humaine normale. Parmi les plus attractives, mais normale.

- Hum, je crois qu'il faut qu'on passe aux choses sérieuses, toi et moi…

Son sourire, tout normal soit-il, est aussi radieux que terrorisant. Qu'est-ce qu'elle va encore me sortir…?

 

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