Épisode Premier - Réveil Matin

Je m'appelle Josh D. Rykerson, j'ai 19 ans bientôt 20, et je fais mes études au Massachusetts Institute of Technology (plus couramment appelé le MIT), à Cambridge, pas très loin de Boston, sur la côte Est des États-Unis. Quoi d'autre ? Rien, pour l'instant, c'est tout ce que vous avez besoin de savoir sur moi. Vous en savez peut-être même déjà plus que nécessaire. Vous me direz : qu'est-ce qu'on peut bien en avoir à faire de la vie d'un type comme toi ? C'est clair, je vous comprends. Par un moment, moi aussi je n'en aurais rien eu à cirer…

Je me suis réveillé ce matin, comme tous les jours, la tête dans le brouillard. Je n'ai pas bu, non, n'allez pas croire ça, j'ai juste horreur de cette satané sonnerie. J'écrase nonchalamment mon réveil pour qu'il arrête de produire des "bipbips" incessants. Je passe ma main de l'autre côté du lit : bizarre, elle est déjà levée. J'ouvre les yeux et m'assois sur le bord du lit. Je m'étire, bâille et me lève. Rien d'extraordinaire. J'arrive dans la cuisine en traînant des pieds, avec juste mon bas de pyjama sur moi puisque les nuits d'Été sont connues pour leur chaleur. Je retiens difficilement un nouveau bâillement. J'ouvre un premier placard pour dénicher mon bol, un second pour me saisir de mon paquet de céréales, je prends une cuillère dans le tiroir et une brique de lait dans le frigo. Je suis armé pour le petit-déj', en somme.

Je m'assois abruptement sur un tabouret et lève les yeux. Elle est là, debout en face de moi, déjà habillée pour la journée avec un ruban bleu marine dans les cheveux, en train de se préparer des tartines de beurre. Elle, c'est Zarah. On est ensemble depuis le début du lycée et on ne s'est jamais vraiment quittés. Elle fait des études de stylisme et on est au moins aussi doué l'un que l'autre, chacun dans notre domaine. Si elle est déjà fin prête, c'est parce que, sans que je sache pourquoi, il paraît que la mode n'attend pas, alors ses cours commencent toujours plut tôt dans la journée que les miens. Son regard croise le mien, je lui souris, sans pour autant briser le silence matinal, puis retourne à mon petit-déjeuner, affamé. Elle fait de même, ses boucles de cheveux noirs retombant en cascades de chaque côté de son visage fin jusqu'à ses fines épaules. Je verse du lait dans mon bol et entreprends, pour la Xème fois depuis que je suis en âge de manger du solide au petit-déjeuner, la lecture des ingrédients inscrits sur la boîte de cornflakes.

Elle pose soudain son couteau sur la table. Un peu trop brusquement, à tel point que je sursaute, surpris. Je fronce les sourcils et la regarde de nouveau. Elle arbore un regard fermé, ce qui ne lui ressemble guère.

- Un souci ? je lui demande.

Logique, je m'inquiète.

- C'est fini, Josh.

Elle a lâché ça d'un ton un peu sec. Là, je ne comprends pas. Qu'est-ce qui est fini ? De quoi parle-t-elle ? Je secoue légèrement la tête de droite à gauche, dans l'incompréhension la plus totale.

- Hein ? je lâche de façon très masculine, d'autant que je viens de sortir du lit alors ça ressemble plus à un grognement qu'autre chose.

- J'ai dit : c'est… fi-ni.

Elle articule bien, séparant les syllabes et les mots comme si elle croyait que j'avais mal entendu. Elle fait erreur, bien sûr, j'ai entendu, je ne suis pas sourd, que je sache. Je n'ai simplement pas compris. Je secoue de nouveau la tête avant de saisir.

- Hein ???

Encore de façon très masculine et matinale, mais cette fois ce n'est plus la même incompréhension.

- Nan mais… Hein ???????

Plus rien ne sort. Je garde la bouche entrouverte, pas comme un poisson hors de l'eau mais presque. Je cligne des yeux. Elle n'a pas l'air de ressentir quoi que ce soit, son expression est plutôt à l'exaspération, comme si je l'ennuyais.

- Bon, j'y vais, je passerai prendre mes affaires pendant que tu seras en cours.

Sur ce, elle quitte l'appartement, attrapant son sac au passage. Je reste immobile sur mon tabouret, entendant le bruit de ses talons sur le carrelage et le claquement de la porte qui se ferme comme des sons lointains. Je rêve ou je viens de me faire larguer ?

 

 

Elle ne m'a pas laissé le temps d'en placer une. On a connu mieux comme tactique de rupture. C'est étrange comme les mauvaises nouvelles, d'autant plus si elles sont inattendues, laissent vos facultés mentales gravement ralenties. Je reste une bonne dizaine de minutes sans bouger, dans ma cuisine, tout seul. Lorsque je reprends mes esprits, mes céréales sont toutes molles d'avoir trempé trop longtemps dans le lait. Avec une grimace de dégoût, je repousse le bol loin de moi et me lève. Je vais dans la salle de bain prendre une bonne douche froide et ça va déjà mieux après, je suis de nouveau opérationnel. J'enfile en vitesse un caleçon, un pantalon, une chemise. Je cherche, comme toujours, ma ceinture, que je finis par découvrir sur le rebord de la fenêtre. Ensuite je ne trouve plus ma seconde chaussette, ni ma cravate qui se révèlent finalement être ensemble sous mon matelas ; allez savoir comment elles sont arrivées là. Je mets mes Converses noires avant de galérer pour arranger mon col et mon nœud. Finalement, j'abandonne avec un geste agacé pour mon miroir. Je me saisis de ma veste et de mon sac en bandoulière puis quitte à mon tour l'appartement, direction la fac et les cours estivaux.

Peu importe ce qui s'est passé dans la tête de Zarah, la physique quantique ne prend pas en compte les évènements personnels. Ni aucune autre matière d'ailleurs. C'est drôle, que ma petite amie depuis près de cinq ans me laisse tout seul comme ça, sans raison apparente, alors qu'on vivait ensemble, que rien ne semblait pouvoir perturber notre relation, ça ne m'émeut pas. Ça peut paraître anormal mais j'ai cette incongrue capacité d'abstraction. Je me rendrai sans doute compte plus tard. Je sens tout de même que cette journée aura un arrière-goût amer.

Par chance, mon dernier cours se révèle être un contrôle surprise des connaissances. Je termine en avance, sans grandement étonner l'assistance qui pourtant jalouse ma bien connue célérité. Je passe ma sacoche à mon épaule et disparais dans les couloirs. Durant les heures de cours, les larges corridors sont vides alors je n'ai pas besoin de regarder devant moi, ce qui m'arrange bien. Je connais cet endroit aussi bien que ma propre poche de pantalon, aussi je me retrouve rapidement dehors. Il ne me reste qu'à traverser les jardins. Enfin, en théorie.

Je me précipite soudainement et sans raison vers la plus proche poubelle et rends, très élégamment il faut bien le dire, mon déjeuner ainsi que tout ce qui aurait pu, par le plus grand des hasards, se trouver dans mes boyaux. Je me redresse péniblement. Je suppose que vous êtes au courant que faire ce que je viens de faire n'est jamais particulièrement agréable. Je soupire, exaspéré. Je ne suis pas colérique, ce n'est vraiment pas mon genre. En revanche, je suis curieux. Et il se trouve qu'à cet instant précis, je ne suis PAS malade. Alors pourquoi j'ai…?

- Ow ! Hey, mec ! Déso, j'pensais pas qu'y aurait quelqu'un à c't'heure…!

Un type de mon âge, me dépassant à vue de nez d'une bonne dizaine de centimètres, se tient là, sur la pelouse, où il n'y avait personne à peine une minute plus tôt. Vu sa dégaine, il ne fait pas partie de l'université. Il porte un blouson de cuir sur un débardeur blanc et marche en balançant dangereusement ses épaules d'un côté sur l'autre, comme le font les gangsters au cinéma. Il arrive à me regarder de haut en bas en un seul coup d'œil, l'air étonné par ma cravate et ma chemise. Mais il a aussi l'air franchement désolé pour quelque chose. J'ignore quoi mais il fait la grimace en s'ébouriffant les cheveux, comme un gamin qui aurait fait une énorme bourde et se demande comment il va camoufler ça pour ses parents. N'empêche, il a interrompu le fil de ma pensée. J'hésite à lâcher un autre "hein ?", puisque ce serait le mot idéal en cette superbe journée, mais réussis à me contenir. Je ne secoue pas non plus la tête, même si je ne comprends pas plus que ce matin.

- Sérieux, t'es grave de rester planté là en pleine session ! Vu tes fringues, en plus, t'es du bahut, j'parie.

Et il me sourit, comme si c'était tout naturel alors qu'on ne se connaît même pas. À croire que je suis toujours dans le brouillard pour ne rien trouver à lui répondre. Mais mon silence, ainsi que le fait que je sois appuyé à une poubelle, semblent l'amuser grandement. Et ce n'est pas le genre à s'empêcher de rire. Ben vas-y, paye-toi ma tête, ce n'est pas si grave… Je finis par articuler quelque chose, de bien stupide, mais quelque chose quand même :

- Er… Exact, je suis du "bahut" ! dis-je en marquant les guillemets par le geste.

- Ben alors qu'est'ce tu fous dehors maintenant ?

Il a l'air de penser qu'on ne sort jamais d'une salle de classe avant l'heure dite.

- Et bien… Er… J'ai rendu ma copie…!

Qu'est-ce que ça peut bien lui faire ? C'est plutôt moi qui devrais lui demander ce qu'il fait là.

- Ow ! Okayyy ! J'ai pigé ! Bon ben, j'm'arrache. À la r'voyure, vieux ! Et encore déso'…

Il me fait un clin d'œil et part en trottinant. En un rien de temps, il est hors de mon champ de vision. Je m'éloigne prudemment de la poubelle. Mais c'était quoi, ça ? Ce type s'est enfui sans même me dire qui il était. Après tout ça m'est bien égal.

Et c'est ce moment rêvé que choisit un mal de tête lancinant pour se frayer un chemin à l'intérieur de mon crâne. J'ai l'impression que ma cervelle va imploser. Vraiment, on a tous connu mieux comme début de journée. J'étais déjà ralenti mais là c'est pire que tout. Mais nom d'un chien qu'est-ce qui se passe ? C'est ma dernière pensée avant que je ne m'effondre au beau milieu de l'allée de briques rouges.

 

 

Je m'éveille pour la deuxième fois ce jour. J'ouvre les yeux sur un plafond blanc barré de poutres en bois d'un marron très sombre. Où suis-je ? L'odeur d'éther et d'alcool qui règne dans la salle ainsi que le lit sur lequel je repose me laissent penser que j'ai été transporté à l'infirmerie. Je me redresse bien que la tête me tourne. Je vois flou et j'ai beau cligner des yeux ça ne passe pas. Finalement, je les ferme et me masse les tempes, engourdi. J'entends alors le bruit de talons sur le sol. Une femme traverse la salle à ma rencontre, rien qu'au bruit je peux le savoir même si, n'étant jamais venu ici, je ne connais pas le personnel infirmier. Ma vision a l'air de revenir et je distingue les traits de l'inconnue. Elle me sourit doucement.

- Vous devriez rester allongé, votre tête a heurté violemment le sol tout à l'heure.

D'un geste maternel, alors qu'elle ne doit pas être plus vieille que moi, elle m'appuie sur les épaules pour me forcer à reprendre la position couchée.

- Que s'est-il passé ?

Je me dégage de son emprise d'un mouvement d'épaule. Je ne suis pas spécialement en colère mais j'aimerais bien comprendre.

- Un groupe d'étudiants vous a trouvé inanimé dans l'une des allées et ils ont eu le bon réflexe de nous appeler.

Elle sourit toujours, c'est incroyable, elle est faite pour ce boulot.

- Je m'appelle June, vous vous trouvez à l'infirmerie du MIT, et vous êtes resté inconscient moins d'une heure après qu'on vous a découvert. On ignore ce qui s'est passé exactement, mais en tombant vous vous êtes blessé à la tête.

- Ah.

Je ne trouve rien d'autre à lui répondre. Elle n'en sait pas plus que moi.

- Bon, je suis réveillé maintenant alors je peux m'en aller, je me trompe ?

- Quitter l'infirmerie serait une mauvaise idée ! On ne sait toujours pas ce qui a causé votre malaise, d'autres examens seraient préférables.

Elle a un regard tout bleu et des cheveux bruns ondulés. Et surtout une expression faciale très maitrisée. Mais je ne me laisse pas facilement berner non plus.

- Écoutez, June, c'est ça ?

Elle acquiesce.

- Je vais bien, c'est bon, il ne faut pas s'inquiéter, je passe juste une journée complètement nulle.

- Josh, elle utilise mon prénom pour la première fois, je suis étudiante en troisième année de médecine à Harvard, faites-moi un peu confiance sur le plan de votre santé.

- Et moi je suis en troisième année au MIT. Tout ceci est merveilleux mais je n'ai pas l'intention de rester ici.

C'est agaçant, je vais bien, ça se voit, non ?

Son visage se ferme légèrement. Pendant l'espace d'une seconde, je suis persuadé que l'envie de m'injecter subrepticement un sédatif lui effleure l'esprit. Mais heureusement elle n'en fait rien. Elle soupire silencieusement et me regarde dans les yeux. J'ai un côté borné, je tiens ça de ma mère, alors ses beaux iris bleus ne vaincront pas face à mon regard abyssal. Et puis c'est là qu'elle lâche la bombe.

- J'ai appelé tes parents, de toutes manières.

Ça lui prend comme ça de me tutoyer. Et moi, pourquoi j'ai pensé à ma mère ? Quand on parle du loup…

- Ils seront ici bientôt.

- C'était véritablement la pire chose à faire !

De quel droit a-t-elle fait ça ? Soyons clairs : j'adore mes parents mais là, sur le moment, une réunion de famille ne me branche pas tellement. Je me lève malgré les courbatures.

- C'est toujours ce qu'on dit.

Je refuse de répondre à ça. Au moins elle n'essaye pas de me faire asseoir. J'attrape ma cravate sur la table de chevet. Qui me l'a ôtée ? Peu importe, je la passe autour de mon coup et entreprends de la nouer. June pousse mes mains, toujours aussi maternelle, et m'aide, sans un mot. Je la regarde bizarrement. Elle veut que je reste mais m'aide à attacher ma cravate ? Elle ne m'accorde pas un regard autant pendant qu'après avoir impeccablement fait mon nœud. Je suis trop fatigué pour me débattre, et si je suis toujours là quand mes parents arrivent ce sera la panade absolue.

Je jette un coup d'œil par la fenêtre pour m'apercevoir qu'il est déjà trop tard. Un GMC noir aux vitres teintées se gare d'ores et déjà sur le parking. Je retiens un juron avant de voir ma mère puis mon père en descendre. Aileen Mackenzie Harrolds Rykerson, architecte ultra-renommée, et Dayton Matthew Rykerson, homme d'affaire reconnu. Des fois je me demande comment un couple aussi parfait a pu m'avoir ou même ne serait-ce que se former. Ils en imposent déjà chacun séparément mais ensemble, c'est l'explosion de prestance et de charisme. Je prends ma tête entre mes mains. Ils vont monter jusqu'ici. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir leur dire ? J'en oublie même la présence de June et ne remarque pas son petit sourire satisfait. Point positif de la situation ? Je n'ai plus mal nulle part. Je marche de long en large. Je ne peux plus éviter de les voir. Je repère mon sac sur une chaise, sans véritablement le voir. Ça y est, j'entends leurs pas dans le couloir. Ils sont là.

- Où est-il ?

Ça, c'est la voix autoritaire et pulpeuse de ma chère mère. Je peux sans peine imaginer le regard fulminant qui accompagne cette réplique. Je n'entends que ça avant qu'elle ne pousse la porte à battants avec autant de délicatesse qu'un cowboy pénétrant dans un saloon, quoi qu'avec beaucoup plus de classe.

- Ah.

Un sourire se dessine sur son magnifique visage dès qu'elle m'aperçoit et elle se dirige vers moi de sa démarche royale. Mon père débarque juste derrière elle.

- Fils, qu'as-tu encore fait ?

Sa voix à lui est dure et trempée dans l'acier, mais en les circonstances, l'inquiétude pointe tout de même un peu. Mes parents sont affolants pour qui que ce soit d'autre que moi… Et June, visiblement, qui reste assise sur une chaise, un peu à l'écart, feuilletant un magazine, sans prêter aucune attention à la scène de famille ! Cette journée est de plus en plus déstabilisante.

- Rien, Papa, rien du tout, fausse alerte.

J'en veux de façon venimeuse à June pour les avoir appelés. Ce genre de coup de fil les fait démarrer au créneau. Je suis leur fils unique que voulez-vous ? Et ils sont des parents…

- Crois-tu vraiment que nous nous serions déplacés si ce n'était rien ?

Ma mère a des yeux bleus ou verts selon son humeur. Là je ne saurais dire si elle est plus inquiète qu'en colère.

- Mais je vais bien !

- On t'a retrouvé inconscient dans la cour de ton école, Josh. Les gens qui vont bien ne font pas ça.

La cour de mon école, non mais je rêve, je n'ai plus 5 ans ! Je jette un regard noir non masqué à l'infirmière qui nous ignore toujours somptueusement.

- Je le répète, ce n'est rien ! Vous vous déplacez toujours pour rien, vous devriez avoir l'habitude !

Je me mords vite la langue d'avoir dit ça. Mes parents n'apprécient pas que je leur manque de respect en public. Ma mère plisse son regard, mon père penche la tête sur le côté, comme il le fait tout le temps pour sous-entendre tout et n'importe quoi. À croire qu'il n'aime pas parler, au fond. Je soupire.

- Désolé, j'ai parlé un peu vite. Je suis content de vous voir, mais je vous assure que tout va bien, c'est juste une sale journée.

Ma mère sourit de nouveau et mon père fait de même. Il faudra vraiment qu'un jour ils m'expliquent comment ils se sont rencontrés pour être aussi bien assortis. Mon père s'approche et me donne une tape sur l'épaule. Cette fois c'est certain, je vais devoir leur raconter ma journée en détail avant qu'ils ne soient totalement rassurés et retournent à leur travail. Quelle misère.

 

 

Je suis allongé (ce sera la position du jour) dans mon lit, tout habillé, dans mon appart à moitié vide puisque Zarah, comme elle me l'avait dit, est venue chercher ses affaires durant mon absence. Je regarde le plafond sans le voir. Une chance que je n'aie eu de cours prévus que le matin car après un déjeuner familial déjà riche en récit, j'ai encore passé l'après-midi avec mes parents à leur raconter cet épique jour d'Été, ainsi que les deux années passées ici, à Cambridge. C'est clair et net, mes parents ne s'intéressent à moi que lorsqu'il y a un souci, ce qui me convient parfaitement. Sauf que jusqu'ici, je n'avais jamais eu de "souci". Mes géniteurs s'en sont retournés totalement convaincus de ma bonne santé, quoiqu'ils aient prévu d'établir sous peu un calendrier de visite, un peu comme si j'étais mourant. C'est ridicule, mais si ça peut les rassurer.

Ce qui est le plus étonnant, c'est que je ne leur ai pas parlé de ce qui m'a paru le plus étrange dans cette journée, à savoir l'inconnu du parc et mes vomissements. Pourquoi ? Je ne le sais pas moi-même. J'ai tout naturellement sauté cet épisode, l'éludant comme si c'était la seule chose à faire, comme si c'était un secret alors que je ne connais même pas ce type et qu'on ne se reverra probablement jamais.

Je soupire, me demandant si je dois ou non retirer ces toiles d'araignées tissées sur mon plafond. J'ai la tête vide. Mes pensées vagabondent, incohérentes, d'un événement à un autre parmi ceux qui sont venus me perturber aujourd'hui. Au moins j'aurais de la place dans mon lit cette nuit. Je suis sûr que j'ai réussi mon contrôle. Je me vengerai de June, un jour. Comment Zarah a-t-elle put prendre la totalité de ses affaires en si peu de temps ? Zut, j'ai oublié d'enlever mon bol de céréales de la table de la cuisine. Pourquoi cet ahuri s'est excusé, dans les jardins ?

Impossible de trouver le sommeil dans de telles conditions. Je me lève et fais les cent pas dans ma chambre. Puis, comme je manque d'espace, je fais les cent pas dans tout mon appartement. À la fin, j'en ai assez et sors pour une petite promenade nocturne. J'habite à deux pas du campus alors je peux m'y rendre rapidement aussi bien pour les cours que pour assouvir une envie de me balader. Cette université est tellement immense, quand on y pense. Il y a des sculptures à tous les croisements d'allées et des tas d'arbres différents ainsi que toutes sortes de buildings loufoques qui servent pourtant de laboratoires, d'auditorium, ou même de chapelle. Je me souviens de mon arrivée ici ; j'avais été très impressionné. Cette idée me fait sourire, maintenant que je maîtrise l'endroit à merveille, bâtiment par bâtiment.

Je finis par me demander ce que je fais ici, en pleine nuit. C'est vrai quoi, je n'ai jamais été insomniaque. Je savais bien que cette journée aurait un sale arrière-goût. Les mains dans les poches, je trouve un banc, à la lumière de la lune. La nuit est fraîche, mais même sans veste c'est parfaitement supportable. Au contraire, j'ai l'impression d'avoir étouffé de chaleur du matin au soir alors cette température crépusculaire m'arrange. De la buée sort de ma bouche par volutes, et à les observer j'en oublie l'heure qu'il est. Fasciné comme un enfant d'une demi-douzaine d'années, je laisse les minutes s'écouler jusqu'à ce qu'un bruit d'explosion, quoi que très très étouffé, me sorte de ma torpeur. Qu'est-ce qu'il y a ENCORE ? Je fronce les sourcils et regarde en direction de l'énorme buisson de derrière lequel est provenu le bruit. À cette heure, le campus est vide, en particulier les jardins. Les gardes observent tout grâce à des caméras de surveillance donc ça ne peut pas être une sorte de patrouille ou quoi que ce soit du même genre. L'arc formé par mes sourcils s'accentue au fur et à mesure de ma réflexion. Curieux, et surtout très inconscient du danger qu'il pourrait y avoir, je me lève et m'approche de l'arbuste taillé en boule. Grave erreur, je suis propulsé en arrière. J'ignore comment ou par qui, mais je me retrouve cinq mètres plus loin, étalé sur le dos dans l'herbe fraîchement tondue.

- T'aurais pu m'dire que t'étais un bizu…!

Mon agresseur s'accroupit à mes côtés et me regarde avec un grand sourire. Et moi je reste bouche bée, figé dans une expression de surprise totale.

 

 

À SUIVRE…


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