2x12 - Danse du feu (2/18) - Attachement
Iz est devant la cuisinière de Sam. En shorts de pyjama et l'un de ses T-shirts du CPD, elle fait griller du bacon sur une poêle, avec des œufs brouillés. Elle est le plus souvent réveillée avant son compagnon, et elle s'est dit qu'il était peut-être temps qu'elle mette cette longueur d'avance à profit pour une petite attention. Elle n'est pas excellente cuisinière, mais qui peut rater un petit-déjeuner aussi basique ? Et puis, avec un peu de chance, l'odeur va le sortir du sommeil. Si ce n'est pas Sing Sing qui s'en charge, sachant qu'il n'obtiendra rien tant que son partenaire bipède ne l'aura pas autorisé. Assis aux pieds de la jeune femme, le chien hume l'air avec intensité et se lèche régulièrement les babines aux effluves qui s'élèvent dans l'appartement.
Le molosse n'a cependant pas besoin de prendre quelque mesure que ce soit, car Sam sort du lit de lui-même. Après avoir passé un pull à capuche et une paire de shorts, il s'approche d'Iz presque sans faire de bruit, pas vraiment intentionnellement, juste en accord avec l'ambiance feutrée du matin. Elle l'entend arriver malgré tout et sourit, sans se retourner, ni rien dire. Délicatement, du bout des doigts, il vient dégager ses mèches sombres mi longues de sa nuque. Il y appose ensuite ses lèvres, sans l'embrasser, juste savourant le contact de sa peau sur la sienne. Avec un soupir d'aise, elle ferme les yeux. Elle coupe le feu et s'appuie en arrière contre lui. Ses mains rejoignent les siennes sur ses hanches.
— Joyeux 4 Juillet, il lui murmure à l'oreille.
— Joyeux 4, elle lui renvoie, tout aussi bas.
Ils restent encore un moment dans cette configuration, savourant l'instant présent. Ils n'ont pas encore vraiment passé de jour férié ensemble. Ils ont bien sûr eu des week-ends, mais pour une raison ou une autre il a toujours été difficile d'en profiter pour se détendre tout à fait. Il y avait eu l'affaire Eugène, la prise d'otages à Walter Payton, et l'accident du frère de Sam à son laboratoire, puis les convalescences de Patrick et Caesar, et ensuite l'enlèvement de Mae. Si elle n'a pas réussi à empêcher la vie de continuer, cette première partie d'année n'aura néanmoins pas été clémente pour la famille Quanto. Ça ne rend cependant ce retour dans l'ordre que plus agréable.
— Est-ce que tu crois qu'on est ennuyeux ? Iz demande soudain.
Ses yeux se sont rouverts brusquement, et Sam la sent se tendre entre ses bras.
— Huh ? il éructe en haussant un sourcil, surpris par cette question sortie de nulle part.
— Est-ce que tu penses qu'on est ennuyeux ? elle réitère sa question, se retournant pour lui faire face sans quitter son étreinte, posant ses mains sur son torse.
— J'avais entendu, en fait. C'est l'origine de ta question, qui m'échappe, il reformule sa perplexité avec des mots au lieu d'une onomatopée.
Il fait glisser ses doigts autour de son oreille droite, pour y ramener l'une des mèches qu'il a justement dégagée de sa nuque un peu plus tôt. C'est difficile pour lui de se concentrer sur ce qu'elle dit lorsqu'elle le prend au saut du lit. Non seulement il n'est pas encore complètement réveillé, mais en plus, c'est comme ça qu'il la préfère. Il est tout aussi fan que tout le monde de sa tenue de travail, mais il y a un je-ne-sais-quoi dans sa dégaine négligée du matin qui a un encore plus fort impact sur ses moyens que sa jupe fendue et ses hauts talons.
— Est-ce qu'on est le genre de couple nul qui reste enfermé pour la fête de l'indépendance ? Iz paraphrase à son tour ce qu'elle veut dire.
Ses choix de mots tirent de son compagnon un froncement de sourcils cette fois plus vexé que perplexe, accompagné d'une grimace insatisfaite.
— On ne va pas rester enfermés, il offre la première de la longue liste de protestations qui lui viennent à cette déclaration.
Et même s'ils restaient à l'intérieur, en quoi ce serait "nul" ? Et en quoi leur choix d'occupation aujourd'hui plus qu'un autre jour est capable de déterminer le genre de couple qu'ils sont ? Et quels sont les genres de couples qui existent ??? Il doit bien admettre être nouveau dans cette situation, ce qui est peut-être un constat presque navrant à quelques années de la quarantaine, mais il estime quand même que ça devrait venir plus naturellement.
— On va au pique-nique de la Ville, elle rétorque.
Son ton souligne la platitude de l'activité. Selon elle, ça ne vaut pas beaucoup mieux que de rester chez soi, en termes d'originalité.
— Iz. Tu attrapes des tueurs en rentrant dans leur tête et tu aides des victimes à se remettre de traumatismes majeurs. J'ai un molosse que j'emmène avec moi en missions secrètes et je campe là où il y a des ours. On n'est pas ennuyeux, il résume leur situation de la manière la plus épique possible, et pourtant sans aucune exagération.
— Tu as dit qu'il n'y avait pas d'ours ! elle s'exclame immédiatement, son index accusateur sur son sternum.
— C'est tout ce que tu retiens… il lui fait remarquer en riant.
— Non, on n'est pas ennuyeux séparément, mais ensemble ? Est-ce qu'on est ce genre de couple dont les gens se lassent ?
Elle est prête à concéder, même implicitement seulement, que sa réaction n'était pas pertinente. Mais elle reprend sur le sujet qu'elle a lancé, avec une réponse un peu plus construite à l'argumentaire qui lui est présenté par l'opposition.
— J'ai du mal à comprendre comment on peut être chiants ensemble si on l'est pas séparément. Et aussi, je me demande bien qu'est-ce qu'on en a à faire, de ce que pensent les gens, Sam poursuit dans son incompréhension.
— Je viens de voir tous mes Dimanches matin à venir défiler devant mes yeux. Ils étaient tous comme ça, elle raconte comme si c'était une vision d'horreur.
— Je ne vois pas en quoi c'est une mauvaise chose, il ose malgré tout.
Si tous ses week-ends pouvaient commencer comme celui-ci, il ne s'en plaindrait strictement jamais.
— Je sais pas, je… elle balbutie, incapable de trouver les mots pour décrire la soudaine panique qui s'est emparée d'elle.
Elle lutte encore un instant en ouvrant et fermant la bouche, avant de se résigner en soufflant par le nez. De son côté, il reste très calme face à son évidente frustration, tout en réfléchissant intérieurement à un moyen de l'apaiser. Tenter de la distraire aurait l'effet inverse de celui escompté, et s'essayer à la raisonner ne paraît pas la bonne solution non plus. Il lui faut une preuve tangible que ses projections sont à côté de la vérité. Aussi peu négatives il les trouve pour sa part…
— D'accord, on va faire un truc. Ferme les yeux, il lui propose après un instant, s'humectant les lèvres et amenant ses deux mains de ses hanches à ses épaules.
— Quoi ? elle s'étonne de ce revirement, prudente.
— Tu as peur de moi, maintenant ? Je croyais qu'on était ennuyeux… Ferme les yeux, Iz. S'il te plaît, il la taquine avant de réitérer sa requête avec plus de formes, presque solennellement, comme s'il lui demandait la prochaine danse.
— Qu'est-ce que tu manigances ? elle reste sur sa méfiance première, avant d'obtempérer malgré tout, ses paupières se refermant sur ses yeux.
Sans répondre, il commence à la faire tourner sur elle-même, doucement d'abord, afin qu'elle comprenne ce qu'il veut lui faire faire, puis de plus en plus vite, dans l'optique de la désorienter. Elle rit mais se laisse faire. Il lui fait aussi faire quelques pas dans des directions variées pendant qu'elle pivote toujours, dans un sens puis dans l'autre, pour ajouter à sa perte de repères. À aucun moment elle ne trébuche ou piétine, en confiance, et habituée à répondre à ses gestes.
— Est-ce que tu sais où tu es ? il lui demande lorsqu'ils s'arrêtent enfin.
Malgré la longueur de la manœuvre, ils sont à peine quelques mètres plus loin de là où ils ont commencé, simplement passés de l'espace cuisine à l'espace salon.
— Er… Quelque part dans ton appartement, elle est bien obligée de répondre.
Elle n'a même pas essayé de prendre des points de repères durant son manège, bonne joueuse, et sachant qu'elle les aurait perdus de toute façon.
— Bien.
L'ayant amenée au pied du canapé, il la réoriente une dernière fois, pour qu'elle y tourne le dos, puis vient lui-même se placer derrière elle. Elle fronce les sourcils en le sentant la contourner, incapable d'anticiper ce qu'il va faire. Elle a très envie d'ouvrir les yeux mais s'abstient, choisissant de le laisser aller au bout de sa démonstration.
Sans prévenir, il l'enserre alors par derrière et se laisse tomber en arrière, l'entraînant avec lui. Elle hurle et se débat, même après la fin de leur courte chute. Elle rouvre les paupières sans cesser de tenter de se dégager, mais il tient bon.
— Sam ! elle feule, furibonde.
— C'est bon, tout va bien, c'est bon, je te tiens ! Tout va bien ! il s'efforce de la tranquilliser par la parole, sans la laisser s'échapper de son étreinte de boa constrictor.
Sing Sing, qui les a suivis à travers l'appartement, couine au moment où la jeune femme crie, mais fait confiance à son humain de référence. Il surveille simplement la scène avec la tête penchée sur le côté, perplexe.
— Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?! elle devient un peu plus cohérente dans ses protestations.
Bien que sans s'interrompre dans ses efforts pour se dégager, ceux-ci se font aussi un peu moins désordonnés et fréquents. Elle a beau donner des coups d'une épaule, puis de l'autre, se tortiller, pousser sur ses pieds, il est bien plus fort qu'elle. De beaucoup. Usuellement, c'est source de réconfort, mais pas à cet instant précis. Son cœur bat encore la chamade et son souffle est toujours court suite à la frayeur qu'elle vient d'avoir. Et il tient bon, comme un mur. Tout contre elle, il ne donne même pas l'impression de lutter.
— Tu es sécurité. Je te tiens, il poursuit dans ses paroles rassurantes, très calme pour sa part.
— Sam… elle répète son prénom, sur le ton de la mise en garde cette fois.
Sentant qu'elle arrête enfin de s'agiter vainement entre ses bras, il relâche un rien sa prise, mais sans la laisser partir tout à fait encore. Il a son attention, maintenant. Et si elle respire encore un peu fort et les battements de son cœur sont encore un peu rapides, elle devrait tout de même l'entendre.
— Tu sais pourquoi je suis sûr que les gens ne sont pas lassés de nous ? Parce qu'on est impossibles. Je ne suis pas le genre de mec qui reste avec qui que ce soit, et tu n'es pas le genre de femme à vouloir d'un idiot comme moi. Le genre d'idiot qui te fait des trucs pareils. Je ne pensais pas avoir à t'en convaincre, mais on n'est pas ennuyeux, Iz, il expose tranquillement à son oreille, dans un discours étonnamment construit après la manœuvre puérile qu'il vient d'effectuer.
Elle laisse à ses propos le temps de décanter dans son esprit avant de répondre. Elle se laisse également le temps de reprendre son souffle et un rythme cardiaque normal.
— J'ai le droit de me retourner, maintenant ? elle demande, enfin calmée.
Il achève de desserrer complètement ses bras, bien que les gardant autour d'elle, et elle s'y tortille pour lui faire face. À plat ventre sur lui maintenant, elle prend appui sur ses mains de part et d'autre de sa tête afin de distinguer clairement ses traits. Ses boucles brunes tombent autour de son visage, alors elle les dégage du même côté d'un geste bref.
— Tu as raison sur une chose : tu es un idiot, elle confirme une partie de son discours, sévère.
Son visage fermé est en accord avec ce qu'elle dit. Il a pris en risque, en lui imposant cette frayeur. Elle pourrait être sincèrement fâchée. Elle aurait des raisons de l'être, et il ne lui en voudrait même pas. Mais au fond de lui, il sait que c'était la bonne marche à suivre. Il sait qu'elle lui fait confiance autant qu'il lui fait confiance, qu'ils sont solides. Il n'a pas compris pourquoi elle en a douté, ni même quel a été son cheminement mental, mais il pense l'avoir illustré correctement.
— Un idiot imprévisible.
Il ne prend pas sa remarque comme une remontrance. Il sent que son masque impassible ne va pas tarder à se dérider. Ça a un peu toujours été sa façon de procéder avec elle : l'embêter gentiment jusqu'à ce qu'elle cède à l'évidence. Non, en fait, dire que c'est une méthode serait erroné. Son comportement naturel rend la plupart des gens fous, c'est simplement qu'il n'avait, avant la sienne, reçu que deux réactions : la résignation ou l'explosion. Pour une raison inconnue, elle se laisse toujours attendrir par ses bêtises, sa façon d'être qui n'est pourtant du goût particulier de personne. Et il n'a aucun doute sur le fait que ça la confonde tout autant que lui.
— Mais un idiot plutôt malin, elle rectifie sa tournure, effectivement convaincue par sa démonstration absurde, en fin de compte.
Elle secoue la tête avant d'enfin laisser son sourire étirer ses lèvres. Il n'essaye même pas de cacher sa fierté en la rejoignant dans cette expression. Il est exaspérant. Mais adorable. Il n'aurait sans doute pas pu apaiser ses craintes infantiles de routine autrement qu'avec cette manœuvre complètement ridicule. Toutes les mères du monde vous conseilleront sans doute de ne pas vous laisser tenter par la personne qui fait s'emballer tous vos signes vitaux. Ce n'est pas supposé être bon signe. Mais c'est si agréable ; comment lutter ? Et ce n'est pas comme s'il en abusait. Elle ferme les yeux lorsqu'il passe sa main derrière sa nuque pour l'amener à lui. Le bacon et les œufs brouillés vont refroidir.
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