1x05 - Maîtrise des dégâts (8/17) - Opiniâtreté
Aussi bizarre que cela ait semblé au premier abord, revenir sur les lieux du crime et traîner ensemble a fait beaucoup de bien à tout le monde. L'alternative était de tourner en ronds tout seul chez soi, et personne ne peut penser que ce serait préférable, peu importe combien il a été étrange de remettre les pieds au lycée le lendemain du drame.
Maena, Ellen, et Nelson, sont assis autour d'une table du réfectoire, à l'instar de nombreux élèves autour d'eux. La veille, ils avaient investi l'auditorium, et l'avant-veille, la bibliothèque. Au début, discuter a semblé difficile, d'une part parce que personne n'avait vraiment envie de parler de ce qui s'était passé, et d'autre part parce que les autres sujets semblaient futiles. Mais, le temps a fait son ouvrage, et petit à petit les échanges ont repris, et la prise d'otage n'a plus vraiment été l'éléphant dans la pièce.
— J'ai pas envie d'y aller, se lamente soudain la petite blonde, les bras croisés sur son sac, posé devant elle sur la table.
— C'est franchement pas si mal, Mae, la rassure son amie, fraîchement sortie de sa propre évaluation.
Plus elle approche, plus cette expérience enchante de moins en moins l'autre adolescente. Ces derniers jours, son appréhension a lentement commencé à prendre le dessus sur son naturel résilient, jusqu'à culminer maintenant que son horaire de passage est dans moins d'une heure. Elle n'a aucun mal à soutenir Ellen et Caesar durant cette période difficile, mais la simple idée de devoir en parler à un inconnu ou presque l'agace au plus haut point. Elle se rend bien compte que c'est une réaction un peu puérile face à quelque chose qui est censé l'aider, mais elle n'arrive pas à se raisonner pour autant.
— J'arrive toujours pas à croire que c'est Uglow qui est affecté à notre classe. Il était là ; il est probablement aussi traumatisé que nous, elle continue de ronchonner, dans un effort de justifier sa résistance au protocole.
— En même temps, trouver une trentaine de psys du jour au lendemain, ça doit pas être ce qu'il y a de plus simple, défend Nelson, à raison.
— En plus, il était juste enfermé dans son bureau. Il a rien vu. Il a dû penser que c'était juste une coupure de courant, ajoute Ellen.
La situation du proviseur et de son corps non enseignant a vite fait le tour de l'établissement. Pour toutes leurs erreurs peut-être un peu bêtes, les mercenaires ont plutôt bien géré les adultes auxquels ils n'avaient pas expressément besoin d'avoir accès, en barricadant tout simplement les portes de leurs bureaux, sans prendre la peine d'y entrer à aucun moment, ni manifester leur présence de quelques façon que ce soit.
— Les portes ne se verrouillent pas, en cas de coupure de courant. Et le matériel qui n'est pas branché n'arrête pas de fonctionner, objecte Maena.
— Ça pouvait être un dysfonctionnement mécanique. En tous cas, il pouvait pas deviner qu'il y avait des gars armés dans les couloirs, la réfute Ellen.
Mae soupire et arrête de se plaindre, voyant que ses amis ne vont pas se plier à son besoin de râler. Elle sait que c'est idiot, mais elle n'a vraiment aucune envie d'être évaluée. Et elle se dit que ce n'est pas comme s'il lui était vraiment arrivé quoi que ce soit, vu que le type s'est neutralisé tout seul. Que Caesar, qui a perdu la parole jusqu'au lendemain, ou Ellen, qui a effectivement été empoignée par l'intrus, aient besoin d'aide, elle peut le comprendre. Même Nelson, à qui le cinglé s'est adressé directement. Mais elle, elle trouve qu'elle va très bien, et ne pense pas qu'il lui soit arrivé quoi que ce soit de manière aussi directe. Pourquoi ressasser de mauvais souvenirs, alors ?
Toujours accoudée sur son sac, elle tourne la tête, pour observer les alentours. Le réfectoire est plein à craquer, et elle sait par expérience que c'est la même chose avec les autres grandes salles ouvertes aux élèves. Exceptionnellement, les lycéens ont même été autorisés à déambuler dans les couloirs et l'atrium, pour ne pas trop se sentir claustrophobes. Il n'est pas interdit de sortir non plus, sur les terrains extérieurs, mais la température n'y incite pas vraiment.
À travers la baie vitrée, Maena aperçoit tout de même quelques silhouettes au-dehors. Parmi elles, Strauss, à la grille extérieure, en train de discuter avec ses mystérieux contacts en cas d'urgence, la femme blonde et le motard aux cheveux noirs de jais. Étant donné les circonstances, la sécurité a été temporairement resserrée, et toute personne étrangère à l'établissement se voit interdite l'entrée. Rien n'a été fait cependant pour empêcher qui que ce soit de sortir à la rencontre d'un proche.
Bien que comprenant l'envie de rendre visite à un ami sur son lieu de travail, de temps en temps, la petite blonde ne peut pas s'empêcher de se demander pour le énième fois ce qui réunit ces trois personnes aussi fréquemment. Ils sont vraiment tout le temps en relation, que ce soit la jeune femme qui vienne à la rencontre du mathématicien dans les couloirs, ou le mécanicien qui rôde dans les rues voisines. Si l'adolescente ne savait pas que le trio a déjà été interrogé par la police au sujet de leur fréquentation des lieux du crime, elle s'inquièterait peut-être. Qu'elle ne se méfie pas d'eux ne la rend ceci dit pas moins curieuse à leur sujet. Ce n'est pas parce qu'ils n'ont rien à faire avec cette prise d'otages qu'ils ne sont pas suspects. Et voilà qu'elle devient aussi paranoïaque qu'Ellen…
Il y a plus inquiétant qu'eux, pourtant. La police a interrogé toute personne s'étant trouvée à l'intérieur ou aux alentours de l'établissement ces deux derniers mois, par principe de précaution, et le seul qu'ils n'ont pas réussi à retrouver est l'homme à la veste de sport, dont Ellen et Mae ont appris l'existence dans les sources du journal du lycée. Les forces de l'ordre n'ont même pas été capables d'identifier l'inconnu, les quelques photos de lui volées par des élèves pas assez nettes, prises de trop loin, ou bien ne capturant pas son visage en entier. D'après l'oncle de la petite blonde, les kidnappeurs jurent cependant avoir travaillé seuls, et ne pas connaître le mystérieux individu. Ce qui, à l'instar de Strauss et ses deux acolytes, ne le rend pas moins douteux, même si les criminels disent vrais.
Alors que l'adolescente s'apprête à rejoindre la conversation que ses camarades à côté d'elle ont engagée, à propos d'un devoir d'Histoire prévu pour cette semaine mais reporté à la prochaine, leur professeur de Mathématiques prend congé de ses compagnons, et disparaît à la vue, certainement en chemin vers l'intérieur du bâtiment, où il devrait lui aussi passer son propre entretien d'évaluation psychologique, en fin de journée.
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