1x02 - Deux temps, trois mouvements (10/15) - Chasse gardée
Installés dans le réfectoire du lycée, l'un en face de l'autre comme à leur habitude et surtout comme le dicte la logique pour deux personnes, Jack et Caesar déjeunent tranquillement. Tandis que le blondinet démontre bon appétit, le grand brun a plus de mal, sa main dominante handicapée suite à son incident d'une paire d'heures plus tôt. On ne se rend jamais autant compte d'à quel point une zone de notre corps est sollicitée que lorsque celle-ci est endommagée.
Depuis les quelques mois qu'ils se connaissent, c'est-à-dire depuis la rentrée dernière, Jack a bien compris que Caesar le tolère plus qu'il ne l'apprécie réellement. Mais c'est en fait la raison principale de son estime pour son camarade. Peut-être que ça lui rappelle ce qu'il a toujours connu avec ses parents, pour lesquels il est convaincu d'être une erreur. Ou peut-être tout simplement qu'il a trop souvent été fréquenté pour les mauvaises raisons. Il aime bien qu'avec Caes, tout ce qu'il dit est pris comme tel, pas filtré par ses tatouages, l'influence diplomatique de ses parents en tant qu'ambassadeurs, la présence de son garde du corps, ou même son intellect. Il ne sait pas comment le grand brun fait pour être aussi indifférent à tout ça, mais il est content que ce soit le cas.
Toujours est-il que, même si Caesar n'a jamais été d'une grande exubérance, Jack a très vite mis un point d'honneur à savoir repérer ses changements d'humeur, s'en sentant quelque part un peu responsable, un peu comme par de la gratitude mal placée. Et comme il avait tout de suite repéré la morosité de Caes le jour de son anniversaire, il peut en l'occurrence très bien constater que le grand brun est en train de sérieusement s'agacer de son incapacité à manipuler un couvert.
Interrompant son déjeuner, le blondinet jette un œil aux alentours, afin de trouver quelque chose pour distraire son compagnon et lui remonter le moral. Il ne lui faut pas longtemps, car une jeune femme blonde d'une trentaine d'années fait opportunément irruption dans la grande salle. Les lèvres de Jack s'étirent en un sourire en coin lorsqu'il aperçoit le décolleté de son chemisier sous sa veste en daim, puis le bas de son ventre entre son haut et ses jeans taille basse.
La belle inconnue, clairement pas membre du corps enseignant, scanne l'assistance des yeux, visiblement à la recherche de quelqu'un. Elle traverse la pièce d'un pas décidé, du haut de bottines à talons, faisant machinalement voler sa chevelure dorée d'une épaule à l'autre alors qu'elle regarde successivement et de manière répétitive à gauche et à droite.
— Hey ! Mate un peu, propose Jack à son acolyte suite au passage de la jeune femme à côté d'eux.
— Jack ! l'admoneste l'autre en grimaçant, partageant rarement l'humour grivois de son compagnon.
— Il y a des jours où mes vices t'amusent. C'est parce qu'elle ressemble à Mae que ça t'embête ? s'enquiert l'autre en se penchant sur la table, scrutant Caes de ses yeux d'un noisette brouillon.
Il sait pertinemment d'où vient sa mauvaise humeur, mais ce serait trop facile de le confronter directement à ce sujet. Et aussi beaucoup moins amusant.
— C'est parce que je suis en train de manger que ça m'embête. Et elle ne ressemble pas à Mae du tout, objecte doublement l'interrogé.
Jack plisse les yeux, le plateau encore presque plein de son ami témoignant de l'inexactitude de sa première affirmation, techniquement. Mais mieux vaut ne pas retourner le couteau dans la plaie.
— Pour ce qui est de ressembler à ta sœur, je suis désolé mais… il laisse sa phrase inachevée, estimant que la conjonction de coordination suffit à faire passer son message mieux que toute description détaillée.
Il se retourne à nouveau vers la jeune femme, qui semble à peine agacée de ne pas trouver qui elle cherche. Il penche la tête sur le côté, la détaillant clairement avec une précision à la limite du déplacé.
— Rien que pour la tête que tu fais maintenant, la prochaine fois que tu poses tes yeux sur ma sœur, je crois que je vais te frapper, le prévient Caesar, connaissant suffisamment ce dont son ami est capable lorsque la gent féminine est concernée pour ne pas souhaiter qu'il use de ses charmes sur sa cadette.
— Comme si tu pouvais. Mais tu n'as pas à t'inquiéter, autant j'adore M, autant pas de cette façon, le rassure son camarade, lui accordant son attention.
— Tu sais que j'ai accès à la salle de rédaction du journal, non ? Tu n'as pas idée du nombre de tuyaux qui te concernent, lui fait remarquer Caes, immobilisant soudain son couvert.
— Parce que la presse est d'une fiabilité reconnue, raille Jack en s'adossant sur sa chaise, bras croisés derrière la nuque, tout sourire, bien évidemment fier des exploits qu'on lui associe, qu'ils soient avérés ou non.
— Tout ce que j'essaye de dire, c'est qu'autant je préfère ne pas savoir ce que tu as déjà fait avec qui dans ce bahut exactement, autant en ce qui concerne ma sœur, même pas tu essayes, il le met en garde une nouvelle fois.
— Je viens de te dire que tu n'avais pas de souci à te faire ! La confiance règne, se défend Jack, presque blessé.
— C'est toi qui as amené le sujet ! lui rappelle le grand brun.
— Et je m'en excuse, c'était déplacé !
Le blondinet lève les mains en signe de reddition, même si son ton suggère toujours qu'il est un peu froissé.
— Merci, lui accorde Caesar, d'un ton également encore un peu sec.
Malgré son milieu social d'origine, Jack n'a pas de manières. Il ne respecte pratiquement rien ni personne, et n'a qu'une très vague notion des limites. Par conséquent, lorsqu'il semble prendre conscience d'un faux pas, ne serait-ce qu'un peu, il ne faut surtout pas manquer de l'en féliciter, même si on a l'impression qu'il s'est comporté comme un goujat malgré tout. En tous cas, c'est la tactique qu'a rapidement décidé d'adopter son camarade.
Un silence s'installe brièvement. Le petit génie est partagé entre la satisfaction d'avoir un peu réveillé son comparse, et la méfiance de cette facette un peu plus agressive de sa personnalité. La famille est toujours un sujet sensible, avec lui. Ce que même avec un QI comme le sien le jeune rebelle a du mal à comprendre, enfant unique de parents plus que distants.
— Cela dit tu ne peux pas nier qu'il y a une légère ressemblance entre cette femme et M, le blondinet revient à la charge, incapable de rester muet très longtemps.
Faisant pour la seconde fois dans la conversation abstraction de la propension de son ami à mettre au point des surnoms qu'il est le seul à utiliser, Caes soupire et entre malgré lui dans son jeu :
— Te moques pas de moi. On dirait qu'elle porte une perruque, il commente.
— Pardon ?
Jack hausse un sourcil. De tous les commentaires, c'est bien le dernier auquel il se serait attendu. Cette femme, autant qu'il puisse en juger, a un physique irréprochable. Et cela inclut aussi bien sa silhouette que sa chevelure dorée.
— Tu as vu la façon dont elle balance ses cheveux partout ? On dirait que ce ne sont pas les siens, Caes soutient son opinion.
— Tu racontes n'importe quoi, déclare l'autre en riant, se retournant une nouvelle fois vers le sujet de leur conversation.
— Je ne dis que ce que je pense, se défend Caesar.
Entendant qu'il se renfrogne à nouveau, Jack délaisse totalement et immédiatement la belle blonde.
— C'est vrai qu'on peut compter sur ça, avec toi. Quand tu décides de dire quelque chose, bien sûr, il offre, maître du compliment critique.
Ne prenant même pas la peine de répondre, son ami se contente de lui envoyer un raisin de la grappe qui se trouve dans une petite coupole au coin de son plateau. Jack prend un air faussement offusqué, notamment pour cacher sa joie d'avoir délié les traits de son compagnon. Il ne riposte cependant pas, ayant déjà récolté plusieurs heures de détention pour avoir initier la dernière bataille de nourriture du lycée. Non pas que les heures de colle lui fassent quoi que ce soit, c'est juste qu'il préfère rester sur une victoire, en l'occurrence.
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