1x01 - Capitaine Nemo (11/17) - Enfant du milieu

Assis à une table du réfectoire du lycée, face à face, Jack et Caesar déjeunent tranquillement. L'armoire à glace qui surveillait déjà le petit blond au matin est dans un coin de la grande salle, à les couver d'un regard vigilant. Indifférents à cette surveillance de toute manière habituelle, les deux adolescents discutent de leurs vacances de fin d'année, comme une très grande partie des autres élèves autour d'eux. L'échange est légèrement biaisé du côté du blondinet, qui décrit à grand renfort de gestes le gigantesque sapin de glace qui trônait au beau milieu de la salle de réception où il a passé le réveillon de Noël avec ses parents. Le grand brun acquiesce gentiment du chef au fil du récit, attentif. Sa réaction ne semble cependant pas satisfaire le conteur, qui s'interrompt brusquement :

— D'accord, qu'est-ce qui va pas ? il s'enquiert, plissant son regard marron clair, suspicieux.

— Pourquoi est-ce que quelque chose n'irait pas ? s'étonne Caes, ouvrant pour sa part de grands yeux.

— Tu n'es jamais hyper bavard, mais là c'est un nouveau niveau, Jack justifie sa perplexité.

Qu'il remarque un détail pareil est assez significatif, puisqu'il est plutôt du genre à adorer le son de sa propre voix. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles quelqu'un d'aussi tranquille et attentif que Caesar lui est de bonne compagnie, entre beaucoup d'autres.

— Je t'écoute, c'est tout ! explique simplement le grand brun en écartant les mains, ne sachant pas trop quel autre comportement pourrait être attendu de lui en les circonstances.

— Je sais. Je vois bien. C'est justement ça qui m'inquiète, poursuit le blondinet, d'une persévérance souvent déplacée.

— T'abuses, je t'écoute tout le temps, proteste Caesar, posant le couvert qu'il avait encore dans la main et fronçant les sourcils à présent, se sentant presque attaqué.

— Oui, mais d'habitude, tu as l'air de te demander si tu dois me croire ou non, objecte à son tour Jack, sûr de lui, comme toujours.

— Peut-être que je m'habitue à l'extravagance de tes histoires, se défend alors l'autre, croisant les bras.

— Si c'est ça, c'est décevant, refuse d'accepter le petit blond, faisant brièvement rouler ses yeux dans leur orbite, son interlocuteur ne l'impressionnant pas le moins du monde.

— Libre à toi de trouver un autre auditoire ! lui lance donc Caes, décroisant les bras mais passant à l'offensive.

— Je continue à croire qu'un jour tu vas comprendre que plus tu essayes de te débarrasser de moi moins tu y parviendras, murmure Jack comme pour lui-même, alors que l'autre peut évidemment très bien l'entendre.

— J'essayes pas de me débarrasser de toi, je veux juste ton bien, il corrige, d'un ton las qui suggère que ce n'est pas la première fois.

— Ben… arrête, c'est déconcertant, lui demande alors le jeune rebelle, frissonnant ostensiblement.

— Et encore une fois, tu t'adresses à la mauvaise personne, marmonne à son tour Caesar presque trop bas pour que l'autre puisse l'entendre, avec un haussement de sourcils, lui.

Jack est un ami incongru à avoir, qui qu'on soit, sans doute. Mais aussi surpris de sa présence à ses côtés le grand brun soit-il toujours, il est pour sa part très bienveillant de manière générale, et la seule raison pour laquelle il a jamais voulu qu'il aille voir ailleurs a toujours été parce qu'il pense qu'il y serait plus à sa place. Très honnêtement, qu'il traîne avec lui ne l'inconvenance pas. En tous cas pas plus qu'il ne ferait d'effort pour l'empêcher de se trouver un nouveau sidekick.

— Non mais vraiment, il s'est passé un truc pendant ces vacances ou quoi ? le petit blond revient à la charge, sans relever la remarque précédente.

— Mais non ! Je t'ai dit, c'était normal ! s'agace presque Caesar, à la fois peu habitué à et n'appréciant pas d'être le sujet de la conversation.

— Alors quoi ? ne démord pas Jack, têtu comme une mule.

— Rien !

— Je peux faire ça toute la journée, informe le blond en se renfonçant dans sa chaise, plaçant ses mains derrière sa nuque en signe de tranquillité absolue.

— Non, parce qu'on a options cet aprèm, lui oppose Caes, rappelant que leurs emplois du temps vont les maintenir séparés jusqu'au soir, comme tous les Lundis.

C'est en fait la journée de cours de la semaine où les deux adolescents passent le moins de temps ensemble. La dernière heure de la matinée est accordée aux langues étrangères, et Caes s'attelle à l'Allemand depuis le collège, tandis que Jack a choisi le Chinois depuis son arrivée. (Il s'avère que le petit blond parle déjà couramment les quatre autres langages enseignés dans l'établissement, ainsi que quatre autres qui ne sont pas proposés, en plus de sa langue maternelle.) Après ça, tout l'après-midi est consacré aux options pour la classe des deux garçons, comme Caesar vient de le dire, et son camarade a choisi la musique tandis que lui-même s'est orienté vers le journalisme, bien que plus par défaut que par goût.

— Pff. Parce que sécher est totalement hors de mon champ de compétences, raille Jack avec sarcasme, affichant une grimace vexée qu'on puisse à ce point sous-estimer son esprit de rébellion.

— Je… le grand brun se retrouve donc à court d'arguments pour nier qu'il n'est effectivement pas d'excellente humeur aujourd'hui.

— Oui ? s'enquiert alors Jack avec une fausse naïveté, évidemment conscient qu'il est sur le point de remporter la conversation.

— J'aime pas mon anniversaire, voilà, avoue finalement son interlocuteur, avec un soupir exaspéré, non pas à ce qu'il vient de dire mais au comportement puéril de son camarade.

— Quoi ?! Qui n'aime pas son anniversaire ? s'étonne enfin le petit génie, se redressant dans sa chaise, soudain intéressé.

— Moi. Je sais pas comment l'expliquer, et c'est peut-être un truc débile d'ado, mais j'aime pas, c'est tout, il tente de noyer le poisson sans grande finesse, bien que sans mentir pour autant.

— T'es aigri que ça arrive si tôt après les fêtes de fin d'année, c'est ça ? cherche à comprendre Jack, sans sembler satisfait de sa propre supposition.

— Si j'étais aigri de quelque chose, ce serait que ça tombe deux jours après celui de ma sœur et deux jours avant celui de mon frère, raisonne Caes malgré lui.

— Nan !? C'est vrai ? est de plus en plus étonné le petit blond, dont le sourire ne fait que s'élargir.

— Oui. Je suis l'enfant du milieu quelle que soit la façon dont tu le regardes, conclut Caesar sur sa propre condition.

— Oublie-ça, c'est plutôt la régularité de tes parents qui me bluffe. Il y a une date importante fin Mars début Avril ? enchaîne Jack, le calcul de la période en question instantané pour lui.

— Ew. J'ai pas envie de discuter de ça avec toi ! le lycéen coupe alors immédiatement court au débat, dérangé par cette idée qu'il n'avait jamais considérée.

Ça fait pourtant sens, en y réfléchissant. Mais d'un autre côté, depuis qu'il le connaît, Jack n'a jamais eu de mauvaise idée. Enfin si, il en a eu des tonnes, et ne les a même probablement pas toutes partagées ce qui ne fait qu'augmenter leur nombre, mais elles ont toujours été brillantes. C'en est même parfois inquiétant, que des idées aussi sombres soient aussi sensées.

Rabroué dans son élan inquisiteur, Jack lutte visiblement pour ne pas insister. Il commence néanmoins à suffisamment bien savoir à qui il a affaire pour se contenter d'avoir déjà extirpé un aveu de lui aujourd'hui. Sans compter que la probabilité que Caesar n'ait pas connaissance de la date soupçonnée est de toute manière élevée.

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