Dixième Jour - 7. 8. 9. (6/10)

Vieux réflexe d'adolescent, j'ai fui dans les escaliers. Je n'ai jamais eu de réelle raison de fuir dans les escaliers, pas négative en tous cas, mais on trouve toujours une bonne excuse pour ce genre de choses, quand on a entre treize et quinze ans, non ? Je ne me précipite cependant pas dans ma chambre, et m'arrête à l'étage de la salle de Bal, qui se vide immédiatement à mon entrée, engloutissant le précédent mobilier qu'elle contenait, et n'offrant alors qu'un sol cimenté, au centre duquel s'élève une colonne de pierre, brisée presque à hauteur d'homme. Je viens m'y appuyer, debout, essoufflé malgré le moindre effort que je viens de fournir. Ce n'est évidemment pas ma brève course qui m'a fait perdre mon souffle, mais je n'arrive pas encore à mettre des mots sur ce qui m'a effectivement affecté, alors je préfère pour le moment accuser quelque chose que je sais pertinemment innocent mais qui, quelque part, sur quelqu'un d'autre peut-être, pourrait sembler un coupable probable. Question de santé mentale.

Puisque les Messagers m'ont amené à circonvenir mon propre subconscient, le brouillard qui m'obscurcissait les idées depuis mon lever, auquel j'aurais finalement peut-être dû accorder plus d'attention, s'est envolé. Je devine que 'mmanie concentre la lycanthropie sous toutes ses formes, à en juger par ses yeux jaunes qu'elle dardait à Zed un peu plus tôt, au même titre que Kel doit concentrer le vampirisme, d'après le rouge dont peuvent se parer ses iris. Les Messagers ne sont peut-être pas des prophètes, mais ils ont une forte valeur symbolique. Autre exemple : Eren et Pro portent l'inceste en eux, tandis que Teph et Esk représentent les valeurs de la famille dite "saine". De même, 'mmanie, seule Messagère qui n'a pas la peau parfaitement blanche, doit représenter la diversité ethnique de l'humanité. Et Tom, stéréotype absolu de la star mondiale, doit certainement être mis en opposition à Lili, selon moi beaucoup plus intellectuelle. Toutes ces conclusions sans importance me brûlent les tempes, comme si les rouages de mon cerveau tentaient de rattraper le temps perdus lorsqu'ils étaient englués dans mon propre déni.

— Josh…

Ça vient des escaliers.

Je ne me retourne pas. Je n'ai pas envie de me retourner. Comme d'habitude, c'est ce sur quoi j'aimerais avoir le contrôle qui m'échappe. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça. Ce n'était pas supposé se passer comme ça. Ce n'était même pas supposé pouvoir se passer comme ça. On croit être préparé à toutes les éventualités, et finalement c'est une histoire totalement différente qui s'écrit. Une fois, rien qu'une, j'aimerais que tout se passe comme prévu, que rien de complètement inattendu ne survienne, que tout se déroule sans accroc. Pas même de bons accrocs. Pas de surprise. Tout simplement savoir à l'avance, à peu près, comment tout va se goupiller. Même pas tout le temps, juste une fois. Juste une. J'aimerais à nouveau pouvoir faire confiance à mon aptitude à gérer les choses au fur et à mesure qu'elles me tombent dessus, comme je le faisais avant de devenir Magnet.

— Qu'est-ce que tu as fait ? je demande, doucement, ma voix malgré moi plus rauque qu'à l'ordinaire.

— Rien.

Je ferme les yeux.

— Oscar, qu'est-ce que tu t'es fait ? je reprends, plus précis.

Je ne suis pas préparé à ce qui est en train de se produire pour la simple et bonne raison que toutes les figures d'autorité en présence m'ont interdit cette possibilité, avant même que je ne l'envisage. Et si LeX, Hannibal, Perry, et même Dwight tombent d'accord sur quelque chose, je me vois très mal aller contre cette opinion. Debout à la sortie des escaliers, mains dans les poches de ses jeans, Oz cache son visage derrière ses longues mèches brunes. Je peux voir ça les yeux clos et le dos tourné parce que, à l'instar des signaux renvoyés par mon Tuteur et mon parrain, son signal est de ceux qui ont une signification toute particulière pour moi. Son signal que je croyais ne plus jamais percevoir… Je ne sais vraiment pas comment il ne m'a pas sauté aux yeux, comment j'ai pu l'ignorer, me créer un angle mort. Hier soir il était si faible que j'ai passé la soirée à m'efforcer de ne pas y penser ; ça a dû me rester au matin, je ne vois pas d'autre explication.

Ce que je dois découvrir maintenant, c'est comment Oscar a retrouvé son aura. Si tout le monde était contre l'idée, par élimination, il n'y a qu'elle qui ait pu faire quoi que ce soit. Ce qui explique la tournure de ma question. Je ne sais pas comment, et encore moins pourquoi, mais elle s'est elle-même délestée de son humanité. Tout ce que j'espère, c'est qu'elle s'est rendu compte de ce qu'elle faisait, qu'elle l'a fait pour une bonne raison. Surtout que je peux très nettement voir ce qu'elle est devenue, et ce n'est pas quelque chose d'aussi génial qu'on pourrait le croire au premier abord. Ce n'est pas censé être quelque chose qu'on décide à la légère, sans consulter qui que ce soit, ou justement n'avoir absolument plus personne qu'on considère suffisamment important à consulter.

— Pas grand-chose.

Je rouvre les paupières.

— Ça t'ennuierait d'élaborer ?

Je me retourne, même si je n'ose pas encore tout à fait croiser son regard.

— Je sais pas exactement. Tout ce que je sais, c'est que je ne me sens pas tellement différente.

J'ai envie de pleurer et de rire en même temps.

— Tu t'es rendue dérivée sans savoir ce que tu allais devenir ?

Je ne sais pas quoi faire de mes mains, alors je les mets derrière moi pour prendre appui sur la colonne brisée.

— Plus ou moins. Si on veut.

Le regard qu'elle lève vers moi me fend le cœur. Elle n'avait pas l'intention de poser de problème à qui que ce soit.

— Pourquoi est-ce que tu ferais une chose pareille ? je l'interroge, désireux de comprendre.

— J'avais besoin de temps.

Exactement ce que je redoutais.

— De temps pour quoi ?

J'aimerais m'arrêter, mais les mots sortent malgré moi.

— Dire au revoir. Décider si je voulais même dire au revoir.

Je fais jouer ma mandibule de gauche à droite, pour m'aider à conserver une expression aussi neutre que possible.

— Tu as pris tous ces risques juste pour ça ?

Est-ce que je vais finir par me taire ?

— Oui, j'ai pris tous ces risques JUSTE pour mon libre arbitre.

Là, elle commence presque à s'énerver.

— C'est complètement fou.

Je baisse la tête.

— Waw. Je suppose que je sais quel effet ça te fait que je puisse m'éterniser dans les parages.

Je la dévisage, interloqué.

— Ça n'a rien à voir. Tu n'as juste aucune idée de ce que tu as fait.

Je ne crois pas avoir déjà eu une pire conversation que celle-ci.

— Je t'écoute.

Quitte à ce qu'elle se retrouve dans cette situation, j'aurais préféré qu'elle ne se pose pas des questions aussi cruciales.

— Qui t'a aidée ? je détourne le sujet, incapable de lui lâcher un truc pareil pour l'instant.

— Qu'est-ce que ça peut faire ?

J'ai un éclat de rire triste.

— J'aimerais leur dire deux mots.

Elle n'a pas trouvé comment se rendre dérivée toute seule, et si elle n'est pas informée, j'en tiens son fournisseur comme responsable.

— Tu t'attends sérieusement à ce que j'avale que ce que j'ai fait ne te met pas en colère ?

Elle croise les bras, visiblement très blessée par ma réaction, qu'elle ne comprend pas.

— C'est ce qu'on t'a fait faire qui me met en colère, Oscar, j'essaye de lui expliquer, resserrant ma prise sur la colonne brisée à m'en faire blanchir les articulations.

— Je suis une grande fille, Josh.

Je n'aurais pas dû utiliser son prénom.

— Je te l'ai dit, tu n'as aucune idée des implications de ce que tu as fait, j'insiste.

— Ça ne peut pas être si grave que ça.

Elle se calme un peu, semblant saisir que je suis en colère à cause d'une partie du problème dont elle n'a pas connaissance.

— On t'a donné le remède contre la vieillesse.

C'est abrupt, mais je ne sais pas comment lui annoncer autrement.

— En quoi est-ce que c'est un problème ?

Question légitime. Question humaine…

— Tu as pensé à tes frères ? je lui demande avec réticence, sachant combien ils comptent pour elle.

— Ils n'ont rien à voir là-dedans, laisse-les en dehors de tout ça.

Elle ne voit pas où je veux en venir.

— Je pense que lorsque tu auras atteint les trente ans, tu vas commencer à avoir du mal à trouver quoi leur dire lorsqu'ils te demanderont pourquoi tu as toujours l'air d'avoir la vingtaine. Crois-moi, j'y ai réfléchi, tous les Magnets se font passer pour disparus bien avant cet âge.

Triste mais vrai.

— Je… leur expliquerai.

Elle panique intérieurement, ce que j'aurais désespérément souhaité éviter. Ce n'est pas vraiment sa faute.

— Ce n'est pas si simple. Tu devrais quand même leur mentir sur pas mal de choses. Et même si tu leur déballais tout : quoi ? La connaissance de ce qui se passe réellement dans l'univers n'est pas pour n'importe qui. Tu veux vraiment leur infliger ça ? Mettre leur monde sens dessus dessous, renverser leur entière vision du temps, de la vie, de la mort, de tout ? Et tu ne peux pas me dire que tu ne sais pas quel effet ça fait…

J'ai l'insupportable impression de lui faire un sermon, mais elle semble heureusement comprendre que c'est nécessaire.

— Personne ne m'a rien fait. On m'a donné une ouverture, et je l'ai prise. C'est ma responsabilité, elle avoue finalement.

— C'était Viky, pas vrai ?

J'aurais dû y penser avant.

— Elle m'a donné le choix, mais c'était ma décision.

Je bascule brièvement la tête en arrière, avec un éclat de rire incrédule. Je vais la tuer.

— Est-ce qu'elle t'a même menacée, au Paradis ? je demande, remettant en doute chaque fait et geste de la Botaniste depuis qu'Oscar s'est réveillée parmi nous.

— Elle m'a rappelé qu'il fallait que je fasse le bon choix.

Et je n'ai rien vu sur la petite brune. Elle n'a rien laissé paraître. Je serre les dents. Après tout, c'est un moyen comme un autre de punir Oz sans aller à l'encontre de la volonté de LeX.

— Qu'est-ce qu'elle a demandé de toi ? j'interroge ensuite, pas tout à fait sûr de ma théorie.

— Juste ça, que je prenne la bonne décision.

Je lève les yeux au ciel.

— Je ne te crois pas.

Je me mords la langue après avoir parlé. Ce n'est pas ce que je voulais dire, j'ai parlé trop vite.

— Eh ben je sais pas quoi te dire, parce que c'est ce qui s'est passé ! Elle a dit qu'elle n'avait rien à perdre et moi tout à gagner, et que c'était tout ce que j'avais besoin de savoir.

Autrement dit, elle peut lui avoir caché tout et n'importe quoi.

— Elle avait forcément une idée derrière la tête, je réfléchis tout haut.

— Peut-être qu'elle voulait simplement rendre service.

Je n'aurais pas pensé qu'Oz la défende.

— Tu ne la connais pas.

— Et toi, oui ?

Je n'ai jamais eu aussi fortement envie de taper dans quelque chose. Pas même après la mort de Zarah, pas même après le départ de mes parents, et pas même après qu'on ait tué mon meilleur pote. J'ai été dans des colères particulièrement incontrôlables, dans des humeurs pratiquement incroyables, mais je n'ai absolument jamais eu autant envie de m'abîmer les phalanges contre un mur en briques. Je serre les mâchoires à m'en faire grincer les dents. Tout va de travers. À quoi bon avoir promis à Oscar que je ne la laisserai jamais mourir, si c'est pour ensuite ne pas être capable de lui éviter le genre d'ennuis qu'elle rencontre maintenant ?

— Je suis désolé. J'aurais juste voulu…

Je ne sais pas tellement comment continuer cette phrase.

— Voulu quoi ? m'encourage à moitié Oscar.

— Que tu viennes me voir. Ou n'importe qui. Hannibal ? Dwight ? Que tu demandes conseil à quelqu'un d'autre que Vik. Que tu aies pu savoir ce que tu étais sur le point de faire, avoir toutes les cartes en mains.

Devoir lui dire adieu était douloureux, mais la voir renoncer à son humanité n'est pas franchement idéal non plus.

— Elle m'a dit que je pouvais devenir dérivée sans danger immédiat, à condition que je ne sache pas à l'avance ce qu'elle allait me faire exactement, pour être sûre que je prenne ma décision pour les bonnes raisons.

En un sens, c'est bien joué, il faut le reconnaître. J'ai un sourire triste.

— Les Botanistes n'ont pas trente-six tours dans leur sac quand il s'agit d'agir sur les humains. Elle ne pouvait rien faire d'autre que te donner cette injection.

Ayant concocté un piège pour Viky pendant deux semaines, je suis pas mal informé sur ce dont les siens sont capables.

— Oh.

Oscar comprend pourquoi elle aurait dû en parler à quelqu'un.

— Je suis désolé, je répète.

— Ce n'est pas ta faute.

Elle hausse une épaule.

— Qui, alors ? Sans moi, tu ne te serais jamais retrouvée dans cette position.

Je ne peux rien faire comme il faudrait. Ma réussite dans cette histoire était trop belle pour durer.

— Sans toi je serais morte il y a trois jours !

Pendant un instant, je me demande si sa situation serait tellement différente aujourd'hui, si ça avait été le cas.

— On aurait dû t'évacuer dès que tout était réglé de ton côté. Te garder dans les parages n'était pas une bonne idée.

J'ai été égoïste. Je ne voulais pas qu'elle parte, je ne voulais pas voir une personne de plus partir, et on voit le résultat.

— Je fais ce que je veux !

Quand tu sais ce que tu risques, je n'ai pas de doute là-dessus.

— Tu étais sauve. Tout allait bien. Et maintenant il y a une date d'expiration sur ta vie de famille !

Je ne sais pas comment on peut même essayer de réparer une chose pareille.

— Et tu n'y es pour rien.

Elle essaye de prendre le blâme sur elle-même. Et puis quoi encore ? Depuis le début, elle n'est plus ou moins que passagère de ce manège.

— Tu ne savais pas ce que tu encourais, je la défends.

— Vik savait.

Enfin un peu de rancœur pour la brunette, tout de même, il était temps !

— Mais j'aurais dû me rendre compte qu'elle manigançait quelque chose.

Je suis censé tout voir. Tout le temps. Je peux lire n'importe quelle âme dérivée dans l'univers et je n'ai pas su en lire une à quelques mètres de moi.

— Tu ne peux pas être partout.

Non, puisque qu'apparemment je ne suis que là où je ne veux pas être. Je réagis à des informations dont j'ignore la provenance ou la signification, mais je ne suis pas fichu de gérer les dérivés les plus proches de moi.

— Quand est-ce qu'elle t'a proposé ça ?

Est-ce que j'ai eu du temps pour me rendre compte de quelque chose ?

— Mardi. Mais elle m'a donné le tube avant de nous laisser, hier soir. Sans que je le lui demande, d'ailleurs.

Mardi ? Mais ça fait plus de deux jours !

— Et quand est-ce que tu l'as utilisé ?

Je me fais du mal.

— Cette nuit.

Logique. C'était à ce moment là ou jamais, sans doute.

— Qu'est-ce qui t'a décidée ? je lui demande, espérant bêtement que ce soit une excellente raison.

— J'ai eu l'impression… J'ai eu l'impression que mon cerveau était en train de… se déchirer. Je sais pas comment ton truc de faire soi-disant fuir les gens marche, d'habitude, mais pour moi ça n'a pas été inconscient. Tout en moi me hurlait de partir d'ici, aussi vite que possible. J'ai été frappée de toutes les envies imaginables, juste pour m'inciter à partir. Mais en même temps, je savais toujours que je n'avais pas vraiment envie de partir. C'était une sensation terrible. Tout ce que je voulais, c'est que ça s'arrête.

Je ne sais pas quoi répondre. Je ne m'attendais pas à ça. Et je n'ai pas la moindre idée de ce qui a pu lui faire cet effet. Je suppose que ça a à voir avec mon Magnétisme et son retour à l'humanité, bien sûr, mais si la période de transition de dérivée à humaine lui rendait mon signal nocif à ce point, je pense que les autres l'auraient su et nous auraient prévenus.

— On appelle ça la dissociation.

La voix de LeX nous surprend tous les deux, mais seule Oscar doit faire demi-tour pour voir la Messagère émerger des escaliers.

— Pardon ?

Je n'ai jamais entendu le terme dans ce contexte. Et je n'aurais de toute manière pas pensé que ce qu'a traversé Oscar ne soit pas une occurrence unique, créée par notre situation pour le moins particulière.

— Dissociation. C'est quand l'envie de s'éloigner provoquée par un Magnet n'est pas aussi inconsciente qu'elle le devrait. C'est assez aléatoire. Ce n'est même pas récurrent. J'ai vu des gens dissocier sur un Magnet et pas sur un autre.

La Panthère s'avance lentement vers nous.

— Tu veux dire que c'est ma faute ? je demande, horrifié par l'idée.

— Non. J'ai aussi vu des gens dissocier une fois, et pas une autre, avec le même Magnet. Comme je l'ai dit, c'est assez aléatoire. Et ce n'est pas moi qui l'ai prévu, c'est un effet secondaire inattendu.

Elle hausse les épaules. Le développement que nous sommes en train de gérer maintenant n'a, après tout, pas tout pour lui plaire à elle non plus.

— Est-ce qu'elle était obligée de faire ce qu'elle a fait ?

Il faut que je demande. Je me sens stupidement coupable du sacrifice qu'Oscar a fait sans même le savoir, cherchant fiévreusement comment j'aurais pu le lui éviter.

— La plupart des gens se contentent de céder à l'envie de s'éloigner, et tout se passe bien. Pas de séquelles, j'entends. Elle a simplement choisi une autre solution, mais du moment que ça fonctionne, je suppose que ça n'a pas d'importance.

Je ne sais pas si qu'elle n'ait été forcée à rien me fait me sentir plus ou moins fautif.

— Comment est-ce que tu as pu ne rien voir ?

Que j'aie été aveugle est une chose. Que LeX l'ait été en est une autre.

— Comment est-ce que j'aurais pu voir quoi que ce soit ? Je ne suis pas omnisciente ! Je n'ai vu que quelque chose n'allait pas chez toi uniquement parce que Lili l'a senti, et il n'y a bien qu'elle pour détecter ça au toucher. Sans ce concours de circonstances, j'aurais pu ne jamais me rendre compte de rien.

L'idée ne la ravit pas.

— Je comprends que tu ne surveilles pas Oz en permanence, mais tes collègues, alors ? Ils viennent de la rencontrer, ils ont dû l'inspecter, non ?

Oscar, qui jusqu'ici écoutait attentivement l'échange, fronce les sourcils à la tournure que prend ma réflexion.

— S'ils ont remarqué, ils n'avaient aucune raison de s'en alarmer. Sachant ce dont ils ont connaissance, c'est-à-dire que tu l'as prise sous ta protection absolue avant de soudainement décider de résoudre l'un des problèmes majeurs de la communauté Paradisiaque, ils avaient toutes les raisons de penser que les Botanistes t'ont donné l'antidote à toi pour elle, en remerciement de ce que tu as fait pour eux.

Vu sous cet angle…

— Tu veux dire que le fait qu'elle n'est plus humaine ne les perturbe pas ?

Je suis surpris. LeX soupire.

— Cette histoire ne concerne pas les Messagers. La communauté dérivée a réagi en masse, tout alignement confondu. Je n'étais pour ma part concernée qu'en tant que créatrice des Magnets, rien d'autre. Et puis même, la discussion a été close par ton symbole, donc ce qui arrive à Oscar maintenant n'a pratiquement aucune espèce d'importance pour qui que ce soit.

J'aurais pensé la situation plus sensible, mais il faut croire que non.

— Pourquoi t'être opposée à sa dérivation avant même que je n'y pense, alors ? je lui demande, cherchant à comprendre pourquoi elle s'est tant acharnée à me convaincre de laisser partir la fille que j'ai sauvée contre tous mes instincts et sans même savoir pourquoi.

— Elle ne proposerait jamais ça à un être humain.

Le retour d'Oz dans la conversation me fait sursauter. Je vois maintenant pourquoi elle a gardé le secret : Vik l'en a convaincue.

— Très juste. Même si, en l'occurrence, Vikt a vraiment fait en sorte qu'elle choisisse pour les bonnes raisons, admet LeX à contrecœur, croisant les bras.

— En évitant néanmoins de mentionner certains détails qui l'auraient incitée à ne pas le faire… je précise, en voulant de plus en plus à la Botaniste.

— Vrai.

J'aurais attendu plus de ressentiment de la part de la Messagère, mais je suppose que Viky n'est pas restée sa meilleure amie aussi longtemps sans lui causer des ennuis de temps en temps, et réciproquement.

— Est-ce que c'est réversible ? je m'enquiers.

— Non. C'est un remède Botanique. C'est aussi rare qu'efficace.

Là, la petite blonde est aussi déçue que moi.

— C'est pas grave. J'assume.

Le courage d'Oscar doit connaître très peu de limites. Sauf que ce n'est pas comme si je ne pouvais pas voir à travers sa façade de vaillance.

— On va te ramener à New York, je lui dis.

— C'est très gentil tout ça, sauf que je vous rappelle qu'on a plus important à gérer. En bas, intervient LeX.

— Ça prendra une seconde à Dwighty, je proteste calmement.

— J'ai dit pas tout de suite.

Je ne vois pas ce que ça change.

— Mais…

Elle me coupe la parole, sous le regard intrigué d'Oscar.

— Il n'y a pas de mais !

C'est quoi, son problème ?

— C'est bon. Je ne refuse pas une soirée pour digérer, de toute façon.

Oz pose sa main sur mon bras, avec un faible sourire, m'assurant que ça ne l'embête pas de céder au caprice de la Panthère.

— Tu es sûre ?

LeX a de la chance que je préfère m'inquiéter d'Oscar plutôt que discuter avec elle.

— Mais oui, elle est sûre ! Aller, ouste !

La blondinette nous chasse de la pièce du geste.

Je cède le passage à Oscar dans les escaliers, et ne manque pas de noter qu'elle a du mal à soutenir mon regard. Qu'elle croie que je lui en veux est la dernière chose que je souhaite. Elle peut suffisamment s'en vouloir à elle-même pour que j'en rajoute. Sans compter que je m'en veux trop à moi-même de ne pas avoir pu empêcher tout ça. On peut vraiment se retrouver dans des situations pas possibles. Et le pire, c'est qu'elles s'accumulent. Je n'ai même pas atteint le rez-de-chaussée que j'entends déjà des éclats de voix en provenance du salon. Que LeX ne m'ait pas laissé m'occuper du problème que présente la nouvelle condition d'Oscar avant de retourner à mes négociations avec les Messagers est un mystère pour moi, parce que ça aurait certainement rendu l'existence bien plus facile à tout le monde. Mais bon, la Panthère a, après tout, souvent ses raisons que la raison ignore.

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