Troisième Jour - Zarbi (6/7)
June avait raison. Sous la pluie, mieux vaut courir. En théorie, passer entre les gouttes est impossible, et une plus grande vitesse nous fait normalement au contraire rencontrer plus d'eau que si on se promène, mais on se sent quand même moins mouillé si on se dépêche. En tous cas, je n'ai jamais vu quelqu'un prendre une vitesse de croisière lorsque des pluies torrentielles se déversent sur sa tête. Ceci dit, je n'ai jamais vu LeX sous la pluie, et ce serait bien son genre. J'arrive en vue de mon immeuble en un temps correct, et une surprise m'attend en bas : Ke(l)vin, tout sourire, un parapluie au motif de journal dans une main, une console de jeu portable dernier cri dans l'autre. Je penche la tête en le découvrant là, intrigué, puis parcours les derniers mètres qui nous séparent en trottinant. À mon approche, le Super Geek remballe son matériel dans une poche intérieure de son gilet fluo, d'un geste huilé par l'habitude, puis élargit son sourire, si c'est encore possible.
— Tu pensais quand même pas que je serais parti sans dire au revoir ?
— Je ne pensais rien à ce sujet, en fait, sans vouloir t'offenser.
Je fronce le nez, sur lequel les gouttes ruissèlent sans discontinuer.
— Y a pas d'mal. J'ai piraté tes résultats, et il y avait de quoi être dans l'expectative. Tu vas entrer dans le Guinness Book Online !
Pirater le MIT. C'est lui qui va rentrer dans Guinness, connaissant notre équipe système.
— Ou pas, je calme ses ardeurs, dans un demi-rire.
— Au fait, comment t'as fait pour rentrer ? Je crois que j'ai (enfin) vu ton garde du corps, trempé dans le parc, mais il avait l'air d'avoir besoin d'être seul donc j'ai quelques doutes quant au fait qu'il était en train de t'attendre.
Sauter du coq à l'âne n'est pas donné à tout le monde. Belle capacité.
— J'étais seul. Et j'ai d'ailleurs bien peur que tu ne doives garder ça pour toi pour… approximativement toujours.
Je raconterai à LeX que June m'a téléporté, si elle demande. J'aurai été mouillé à l'atterrissage devant l'immeuble. Mouais, c'est suffisamment plausible.
— Il va bien, au moins ?
Je prends ça pour un acquiescement à ma requête de confidentialité. Quant à être tout seul sous la pluie battante, autant dire que c'est du Perry tout craché. Je lève la main pour apaiser l'air inquiet du Super Geek.
— C'est gentil de t'en soucier. Disons que, pour le moment, c'est le mieux qu'il puisse faire en matière de bien-être.
Malheureusement.
— Cool.
À l'entendre, ce n'est pas cool du tout, et je ne peux qu'être d'accord sur le fond. Mais sur la forme, on s'est compris.
— Alors, tu repars ? je reprends après un silence de ceux qui suivent toujours les sujets délicats.
— Ouep. On m'attend.
Il ne faut pas longtemps à son sourire pour pointer de nouveau au coin de ses lèvres.
— On t'attend ? je relève avec un haussement de sourcil.
— Dans ma team, il y a toute une ribambelle de Super Geekettes, et il faut croire qu'elles ne peuvent pas se passer de moi.
Il lève les yeux au ciel et moi je fais la moue. Des Super Geekettes ? J'aurai tout entendu.
— Je vois. Geekesque.
— Geekesque, tout à fait !
Il semble ravi que j'accepte le geek qui est en moi. Ce n'est pas comme si je l'avais déjà renié.
— Merci, Ke(l)vin, je lâche soudain.
Il peut paraître étrange qu'un merci qu'on pense réellement soit agréable à dire, mais c'est pourtant le cas.
— ' y a pas de quoi. Je suis venu de loin rien que pour te rendre ce service.
Il regarde ses pieds, l'air un peu gêné.
— Ça m'interdit la reconnaissance ? j'insiste.
— Non.
Il ne peut rien répondre d'autre.
— Alors encore merci.
Ke(l)vin relève les yeux vers les miens, légèrement rougissant, l'air toujours gêné, jusqu'à ce qu'une autre idée traverse sa cervelle.
— J'suis surtout content que mon plan foireux ait fonctionné.
Il dit ça comme si ça avait été de l'improvisation totale. On ne fait pas ce qu'il a fait à l'aveuglette, si ? Je préfère ne pas y songer.
— Il était très bien, ton plan.
Et je le pense. Un peu effrayant sur le coup, mais optimal au final.
— Il a carrément niqué sa Twingo, ouais…
Voilà une expression qui m'était inconnue.
— Et c'était quoi, ta seconde idée de la journée ? je l'interroge.
Son visage s'illumine et il lève un index avant de fouiller dans l'une des poches intérieures de son gilet, qui semblent être plus nombreuses qu'il n'y paraît.
— Ça.
Il me tend une clé, exacte réplique de celle qu'il porte autour du cou.
— J'ai pas pu m'empêcher de remarquer ta montre, tout à l'heure, à l'infirmerie. Des anciens de chez nous ont participé à la conception de ce modèle pour ton père. Les Super Geeks ont toujours été des intermédiaires entre les humanoïdes et pas mal d'espèces purement mécaniques, et par conséquent incapables de communiquer… Bref. En tous cas, j'étais loin d'imaginer que ton paternel t'aurait passé ça. Toujours est-il que les données qu'il y a là-dessus pourraient t'être utiles. Ce sont des mises au point qui étaient prévues au départ mais qui nécessitaient plusieurs années à préparer et que ton père n'a jamais pu récupérer lorsqu'elles ont été terminées, puisqu'il avait comme qui dirait remballé son costume de Magnet à ta naissance.
Je ne sais pas combien de temps mon père a été Magnet, ni à quel moment de cette carrière il a reçu la montre, mais ça doit être de l'ordre des demi-siècles et des décennies. Ces mises à jour devaient réellement nécessiter pas mal d'années de préparation pour qu'il n'ait pas eu le temps de les récupérer avant de m'avoir.
— Oh. C'est…
Allez trouver un adjectif qui colle, vous. Le pire, c'est que ça me fait vraiment plaisir, même si je me serais bien passé de penser à mon père une fois de plus dans la journée.
— En plus, toi, ton Tuteur n'est pas électromagnétique, donc ça pourra d'autant plus te servir.
Que veut-il dire ?
— Sympa. Merci. Encore une fois !
Vais-je m'arrêter un jour de le remercier ? Non pas que ce soit démérité.
— À ton service.
Le Super Geek m'accorde un semblant de salut militaire, que je lui renvoie.
— C'est ici qu'on se sépare, alors ?
Il confirme d'un hochement de tête.
— Live Long And Prosper [1].
Et le signe qui va avec, s'il vous plaît. Je me retiens d'éclater de rire, et le froid qui commence à se faire mordant m'aide un peu.
— Ça le fait, si je me contente d'un "@+" ?
Blague de circonstances. Je vous laisse deviner pourquoi.
— Carrément !
Lui ne se retient pas de rigoler.
Ke(l)vin s'en va ensuite à reculons, me faisant de grands signes comme il a dû m'en faire le matin-même alors que je lui tournais le dos, concentré sur ma tâche de retrouver Viky. Je lui en rends quelques-uns, quoi que moins larges, jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière les trombes d'eau qui tombent du ciel. Je sens toujours son aura pixélisée, et songe à rester là encore un moment, puis le froid se rappelle à mon bon souvenir, et je rentre enfin chez moi. Je monte les escaliers quatre à quatre pour gagner du temps, et entre dans l'appartement en ébouriffant mes cheveux, essayant tant bien que mal d'en faire partir l'eau. Je dépose ma sacoche dans l'entrée, puis avance jusqu'au salon, comme d'habitude.
Je souris en découvrant que la pièce possède un détail qu'elle aurait possédé même s'il n'y avait eu que Dwight à m'attendre : des boîtes de pizzas recouvrent à peu près chaque espace disponible, quelques-unes vides, la plupart contenant encore une ou deux parts. Sachant qu'on a déjà mangé une quantité tout aussi importante du plat Italien hier soir à 5, il n'y a vraiment que le Jumper pour pouvoir en avaler encore une bouchée. Secouant la tête, je jette un regard circulaire au reste de l'endroit. Luther a rejoint son vivarium, Hannibal trône sur un fauteuil, dans une position normale pour une fois, et LeX, qui occupe le second siège, ses jambes repliées sous elle, caresse un énorme rat blanc à tâches noires, posé sur ses genoux. Le plus intéressant reste néanmoins le canapé, qui accueille une Vik et un Dwighty aussi endormi l'un que l'autre, et d'ailleurs endormis l'un SUR l'autre, voire dans les bras l'un de l'autre, si on veut pousser l'observation plus loin.
— Dis-moi que c'est toi qui as fait ça… je plaide en me tournant vers la Messagère, dont les yeux gris ambrés se sont braqués sur moi à la seconde où j'ai fait mon apparition.
— D'une certaine façon, j'y ai contribué, oui… réplique-t-elle, mystérieuse.
Elle a de ces réponses, parfois.
Bien que nous ayons tous les deux conservé notre voix relativement basse, notre échange réveille les deux dormeurs. S'agitant d'abord simplement dans leur sommeil, ils semblent se rendre compte de la position dans laquelle ils se trouvent d'un coup d'un seul et se redressent alors tels deux ressorts, ouvrant de grands yeux et s'éloignant l'un de l'autre à grand renforts de gestes désordonnés. Le tout tourne rapidement au jeu de mains puéril. Hannibal, qui se tait par je ne sais quel miracle, se contente de ricaner devant la scène, ce qui a tout de même pour effet de l'interrompre, laissant Dwight et Vik chacun d'un côté du canapé, elle bras croisés et fulminante, lui mains dans les poches et penaud. C'est seulement après qu'ils remarquent ma présence.
— Hey, Jo' !
Le visage de Dwight se fend d'un large sourire qu'il m'est impossible de ne pas renvoyer, et il se lève d'un bond. Le plus loin de Vik possible, le mieux ce sera.
— J'adore les disputes de canapés, murmure LeX comme pour elle-même, son attention se portant désormais sur son animal de compagnie surdimensionné.
— Qu'est-ce t'as foutu, vieux ? continue Dwighty, passant une main dans sa chevelure toujours un peu rebelle au réveil.
— J'ai… passé mes examens.
Réponse aussi hésitante qu'honnête, bizarrement.
— Et tu n'as pas jugé nécessaire de nous prévenir avant ? pointe LeX avec autant de pertinence que d'insolence.
On ne peut pas la garder longtemps à l'écart, apparemment.
— Elle était à deux doigts de débarquer sur son grand destrier noir et blanc.
Tout comme il est impossible de faire taire H sur une longue durée.
— Ce n'était pas supposé être au programme, je me défends d'un ton un peu plat.
— Intervention divine ?
Vik se met à rire, comme à une private joke.
— Non. Super Geekesque, j'articule en me tournant lentement vers elle.
— Mon équipe informatique a entendu parler d'eux, LeX commente, moins sur ses gardes déjà.
— T'as une équipe informatique ?
Dwighty, toujours à côté de la plaque, jamais à poser les bonnes questions. Ça fait partie de son charme.
— Chacun ses hobbies.
La Messagère hausse les épaules.
— Où est Per' ? s'enquiert soudain Viky, visiblement atterrée du tournant qu'a pris la conversation.
Mais… aurait-elle eu dans l'idée de s'excuser de sa remarque un peu sèche à l'égard du Jardinier, plus tôt dans la journée ? Ça m'étonnerait, mais c'est beau de rêver.
— J'ai dû passer à l'infirmerie.
Tout le monde lâche un "oh" silencieux, avec un air plus ou moins douloureux selon le degré d'empathie de la personne correspondante. La phrase se suffit à elle-même.
— Dans ce cas, personne ne sait où il est… conclut tout de même la blonde platine.
Heureusement, le sujet de ma constante garde rapprochée n'est pas évoqué. J'ai eu chaud, et ce grâce à Viky, évidemment.
— Bref, et alors, ça s'est bien passé ?
Pour une fois qu'Hannibal pose une question qui ne sonne pas comme un sarcasme.
— Regarde par toi-même.
Je passe ma lettre, que j'avais gardée à la main et qui a miraculeusement échappé au plus gros de la pluie, à l'ange mécanique.
— T'as d'jà t'résultats ? s'étonne Dwight en se grattant derrière la tête.
— 'tends mais c'est trop un test sanguin les exams, de nos jours… s'offusque la Botaniste, changeant le croisement de ses jambes et se renfonçant dans le canapé.
Merci de diminuer mon mérite. Ça fait toujours plaisir.
— Non, j'ai passé sept heures sur table.
Et ce n'est pas rien, mademoiselle !
— Ça reste moins long que la moyenne.
Je soupire, à court de défense, mais LeX tranche la question :
— Il n'est pas dans la moyenne. Ce qui n'explique cependant pas la célérité de la correction.
Là, j'ai une réponse.
— Au contraire. Curiosité scientifique.
Typique. La Panthère concède d'un mouvement de tête.
— Les profs sont tous des cinglés, commente Vik, d'un air renfrogné qui laisse présager que ce sera sa dernière contribution à la discussion.
— Cinglés peut-être, mais ils se proposent néanmoins de le dispenser de cours.
L'ange a fini de lire.
— En quel honneur ? demande LeX.
— Ils estiment qu'il peut progresser tout seul dans un domaine sans la moindre difficulté, pourvu qu'on lui ait donné la plus petite amorce. Môssieur se verra donc donner des cours particuliers pour acquérir les amorces qu'il lui manque, et ce jusqu'à ce qu'il ait atteint le statut officiel de Je-sais-tout. Après quoi son diplôme lui sera discerné avec les félicitations du jury.
Il a paraphrasé la missive, en gros.
— C'est un bon résumé… je me contente de déclarer, restant modeste.
— Rhâ, vieux, m'c'est génial ! T'vas pouvoir être ici vach'ment plus souvent !
L'exubérance de Dwight est toujours de circonstance. Il vient m'accorder une accolade à décorner un taureau, et se met à bondir sur place comme un kangourou sauvage… et légèrement déjanté.
— Je crois que j'ai juste du mal à me rendre compte.
Je voudrais bien lui dire d'arrêter de sauter, parce qu'il va finir par heurter le plafond, mais j'apprécie trop de le voir content.
— Rien à quoi une bonne nuit de sommeil ne peut pas remédier… suggère LeX avec subtilité, pour une fois.
J'aimerais suivre son conseil, mais il me reste quelques petites choses à faire. Comme manger, par exemple.
— J'attrape quelque chose à grignoter et je vais dormir.
Je me sens comme un adolescent qui essaye de repousser son couvre-feu. Pathétique.
La Messagère hausse les épaules, signifiant par ce geste qu'elle me laisse quartier libre. Je m'en vais donc à la cuisine, parce que mine de rien je n'ai pas mangé depuis près de douze heures, et j'ai pratiquement passé tout mon après-midi à bûcher entre-temps. Dwight, toujours guilleret, m'accompagne, sans doute en partie pour s'éloigner un peu plus de Viky. Secouant la tête à cette idée, je fouille dans un placard pour dénicher la denrée la moins diététique du monde : du beurre de cacahuète. Mais c'est également la plus facile à avaler et celle qui donne la meilleure sensation de satiété, donc, je m'en contenterai pour cette fois. Je surveille mon Jumper de meilleur ami du coin de l'œil, et me rends alors compte qu'il garde ses mains dans ses poches, l'air profondément concentré, croyant peut-être que ça va l'empêcher de commettre l'une de ses incontournables maladresses. On ne se bat pas contre soi-même, mais je retiens tout commentaire blessant, admirant simplement sa persévérance, à croire qu'un jour il arrêtera de semer la pagaille partout où il va. Peut-être s'imagine-t-il que mourir l'a changé sur ce point. Je me surprends à espérer que non. Dwight ne serait pas Dwight s'il n'était pas aussi délétère. Inévitablement, et comme pour soulager mes vagues inquiétudes d'un Dwight habile, ce dernier frôle un bocal qui vient rouler au sol, sans se briser mais non sans faire un boucan du diable. Boucan accueilli par un concert de rires en provenance de la pièce voisine. Le maladroit soupire et ramasse sa bêtise en ronchonnant.
— Pfff… Ça m'soûle.
Sa bonne humeur en serait presque entamée.
— Aller, viens.
Je lui file un gentil coup de coude et l'emmène avec moi jusqu'à ma chambre. C'est dans cette pièce qu'il a cassé le moins de choses jusqu'ici, sûrement parce que c'est dans cette pièce qu'il a le plus d'espace.
— D'fois j'me d'mande d'qui j'tiens ça, quand même, lâche-t-il en s'asseyant sur mon lit, songeur, alors que je m'applique à retirer mes chaussures sans mes mains, marchant sur les contreforts.
— Et pourtant, c'est la première fois que je t'entends te poser la question, je commente en enfournant une cuillerée de beurre dans ma bouche et le rejoignant sur le lit.
— Ah ouais ?
Pourtant, je ne doute pas qu'il soit assailli de questions concernant ses parents, mais je ne l'ai jamais entendu une seule fois lier tout ça à sa maladresse pathologique. Ou tout du moins pas sur ce ton dépité. Il n'a jamais été fier de son côté maladroit, mais il ça n'a jamais eu l'air de l'embêter à ce point non plus. Je décide de changer de sujet, le connaissant suffisamment pour savoir que, comme pour nombre de personnes, rien de bon ne ressort en général de ses réflexions trop intenses.
— Dis… Er… La prochaine fois, ça peut être toi qui m'accompagne en cours ? je demande l'air de rien.
Le Jumper penche la tête au changement de sujet avant de m'asséner une grande claque sur l'épaule.
— Trop, vieux ! T'aurais dû l'dire plus tôt, ç'aurait p't-ê'te empêché la blonde d'faire sa cheftaine !
Il se fait rire tout seul, et je l'accompagne de bon cœur dès que je n'ai plus la bouche pleine.
— J'ai entendu ! fait remarquer LeX depuis l'autre côté du couloir, bien que la porte soit presque fermée.
— Rien à taper ! rétorque Dwighty sur le même ton joueur.
— Tu crains ! ajoute Viky, ne pouvant s'empêche d'apporter son grain de sel.
Dwight se contente de lui adresser une grimace qu'elle ne peut pas voir.
— Vous avez fini, oui ?
J'espère que ça n'a pas été ça tout l'après-midi. D'une part parce que c'est carrément gamin, et d'autre part parce que ça signifierait que j'ai raté des réparties d'anthologie !
— C'trop bien qu'tu puisses ê'te là plus souvent, vieux. Sérieux, ç'va changer plein d'trucs.
On dirait que ça remarque en cache une autre, mais encore une fois, il se fait vraiment tard.
— Tu n'auras plus le temps de faire la cuisine, par exemple… dis-je en posant mon pot de beurre de cacahuète sur la table de chevet.
Le Jumper sourit plus largement.
— Ouais, par exemp'e.
C'est bien lui qui a cuisiné toutes ces salades composées dans le frigo. On se demande d'où ça lui est venu, lui qui se nourrit exclusivement de milk-shakes, pizzas, chewing-gums, pop-corn, et autres aliments de la même catégorie que le beurre de cacahuète que je viens d'ingurgiter.
— Dommage. Tu as un certain talent, si tu veux mon avis.
Je suis sérieux, et pourtant je récolte quand même un regard de biais.
— Toi, t'vraiment b'soin d'dormir.
Je lève les yeux au ciel, mais suis déjà poussé en arrière par la brute qui me sert de Tuteur, irrésistiblement.
— Je ne suis pas le seul dans ce cas, je fais remarquer en me redressant une dernière fois.
— B'nne nuit Jo'.
Il ferme la lumière en sortant, clôturant le débat.
— Bonne nuit, Dwighty. Passe le mot.
— I's ont entendu.
Mon rire dans le noir est la seule réponse qu'il obtient.
Je me glisse entre mes draps en prenant à peine le temps d'enlever mes vêtements. J'aurais pensé m'endormir au moment où ma tête toucherait l'oreiller, mais je reste encore quelques minutes à peu près éveillé. Juste le temps de penser que cette journée a été très longue, mais qu'elle a également apporté un changement non négligeable à mon existence. Juste le temps de passer en revue tous les projets que je dois mener à bien avant la fin de la semaine prochaine, c'est-à-dire réunir June et Perry, faire mon fameux Choix, mettre fin à toutes mes interrogations à propos de mes parents et de leurs divers agissements, mettre le doigt sur ce qui clochait chez Dwight ce soir, ah, et il faut aussi que je fasse des courses parce que je n'avais plus de lait pour mes céréales ce matin. Juste le temps de me dire que je dois arrêter de tout retourner dans ma tête comme ça, et dormir, parce que c'est l'une des rares choses dont j'ai besoin autant que le commun des mortels. Drop It Like It's Cold. C'est bien la seule leçon qui ne rentre pas dans ma tête comme une lettre à la Poste.
[1] Live long and prosper = Longue vie et prospérité (salutation Klingonne)
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