Épisode Dixième - Courroux

Toute éternité magnétique oubliée, je pense que la jeunesse est une arnaque. C'est durant cette période qu'on est au summum de ses ressources, mais pourtant, la plupart du temps, on ne saura comment utiliser ces dernières qu'une fois vieux et cacochyme. Et dans le meilleur des cas, où on saurait quoi faire de toute cette énergie avant d'avoir atteint le troisième âge, on est dans l'impossibilité de le faire à cause de stupides devoirs liés à la civilisation. Enfin bref, tout ça pour dire que je suis ce qu'on appelle communément un génie des sciences (sans compter que je suis magnétique) et que je pourrais donc aider à l'accomplissement de nombreux projets (et aider des dérivés en détresse partout à travers le monde) et que, cependant, je me traîne toujours en troisième année au MIT à m'ennuyer en cours. Et ce juste parce qu'avoir un diplôme est devenu indispensable et qu'aucun acte n'aura l'effet d'un rouleau de papier.

C'est triste à dire, mais le bas du ménisque sur le trait de jauge, j'en ai par-dessus la tête, sans mauvais jeu de mots. Mon chimiste de professeur s'égosille depuis une heure sur les élémentaires précautions à prendre lors d'une manipulation. Le passage de la théorie à la pratique est-il si compliqué pour stresser tout le monde de la sorte ? J'observe mes camarades prendre avidement des notes, buvant les paroles du maître de conférence. Je retiens pour ma part difficilement un bâillement avant de m'appliquer à gommer une nouvelle esquisse de notre inconnu masqué. À croire que je me suis fait à cette inconsciente obsession.

Ou peut-être est-ce le fait que tout ce que je prenais pour certain a été ébranlé ? Après tout, j'attends la visite de la fille qui a décidé que je serais un jour ce que je suis aujourd'hui, et visiblement, ce ne sera pas une hôte des plus communes, sans compter qu'elle va en plus me donner des renseignements apparemment capitaux pour ma tâche. Mes parents ont peut-être connu les châteaux forts de France et leurs jobs sont en réalité des passe-temps, cachant leurs activités "magnétiques", si je puis dire. L'infirmière de mon campus, en dehors du fait qu'elle me cache bien des choses et qu'elle soit morte, a des relations avec une meurtrière venue d'on-ne-sait-où. Et pour couronner le tout, je rêve effectivement d'un type portant le masque que j'ai trouvé un jour dans un parc avec la sus-citée infirmière. Mais comme je l'ai dit, ce dernier point est parmi les moindres.

Je commence à désespérer que quelque événement inattendu vienne troubler cette leçon des plus soporifiques. (J'ai bien essayé de faire danser les lampes au plafond mais ça m'a très vite lassé et surtout, mon dernier dérivé en date ayant été un chat-garou très peu coopératif, il m'a laissé une vilaine griffure sur la base de la nuque, qui me fait souffrir chaque fois que je lève la tête. Amusant, non ?) Mais par je ne sais quel miracle, le cours est effectivement interrompu ! Plusieurs coups secs sont frappés à la porte de l'amphithéâtre. Notre prof s'arrête au beau milieu d'une diatribe des plus théâtrales et se dirige vers l'entrée en fronçant ses sourcils broussailleux. Il ouvre sur un homme dont on ne distingue pas le visage, autant à cause de la pénombre qu'à cause du fait que le regard est irrésistiblement happé par l'insigne qu'il brandit. Un officier de police ? Mieux, un inspecteur, puisqu'il n'a pas d'uniforme. Mais que fait-il ici ? Je n'ai pas le temps de faire défiler les possibilités dans ma tête.

- Monsieur Rykerson ?

Hein ? Mais… c'est moi !

- Oui ?

Je m'efforce de prendre un air détaché.

- Venez ici, je vous prie.

Je ramasse mes affaires et me rends aux côtés de mon professeur, sans un mot, et sous les regards inquisiteurs de ma classe.

- Que puis-je faire pour vous ?

C'est drôle, même de près, le visage de l'inspecteur est flou. Je comprends pourquoi à la seconde où l'aura d'un dérivé m'atteint. C'est étonnant comme mon fameux sixième sens s'affine avec le temps : je peux dire que le dérivé du jour est ancien, pas très puissant, mais efficace dans son domaine. J'en sais des choses, pas vrai ?

- Pour moi, rien, mais pour l'inspecteur Léonard ici présent, quelque chose, sans doute. Encore heureux que vous soyez en tête de promotion, vous pouvez vous permettre de manquer ce cours…

Première nouvelle : j'ignorais que j'étais major ! Mon prof referme la porte derrière lui et retourne à ses moutons, enfin, à ses élèves, me laissant seul avec l'inspecteur.

- Si vous voulez bien me suivre, j'ai quelques questions à vous poser, ce ne sera pas long.

Qu'est-ce que la Police peut bien me vouloir ? C'est un représentant des forces de l'ordre, je peux l'interroger, il ne va pas me manger.

- Bien entendu, pas de problème. Puis-je simplement vous demander à quel sujet ?

J'ajuste mon sac à mon épaule, un demi-sourire aux lèvres. J'essaye de me montrer engageant, vous voyez.

- Nous serons plus tranquille au poste.

Il pose sa main sur mon épaule et je ne me sens pas le cœur de résister, et ce n'est pas simplement parce que je ne connais ni son visage ni son expression faciale alors qu'il se tient à moins d'un mètre de moi.

Je hoche la tête. De toutes manières, je n'ai rien à cacher, ou tout du moins rien qui intéresse les autorités locales. Est-ce interdit par la loi de défendre aliens et predators simultanément ? Peu importe, au moins, je suis éloigné de cet amphithéâtre/dortoir. Et il s'avère également que le dérivé responsable du flou artistique sur le visage de l'inspecteur ouvre la voix en s'avançant déjà dans le couloir. Mais où est-il pour que je ne le voie pas ? S'il peut dissimuler des traits qui ne lui appartiennent pas, il peut sans doute se camoufler lui aussi…

 

 

Le voyage a été mortel au sens quasi-littéral du terme. L'inspecteur Léonard s'est montré muet comme un carpe, non, plutôt comme une tombe. Et la cerise sur le gâteau : mon nouvel ami le dérivé invisible a embarqué avec nous. Maintenant je saurais qu'un séjour prolongé à moins de deux mètres d'un dérivé autre que Dwight, c'est de la folie. Vous connaissez cette désagréable sensation lorsqu'un insecte vole autour de vous ? Il bourdonne, il vous frôle, tourbillonne, en clair, il vous rend dingue. Et bien c'est l'effet que j'ai ressenti durant tout le trajet. Et quand on est assis à côté d'un agent de la maréchaussée, on est frustré de ne pas avoir le droit de hurler, ou bien de prendre le bus, je vous assure. Parce qu'en plus, le commissariat est sur Western Avenue, ce qui équivaut, à mon échelle, à la Lune. Mais j'optimise en pensant que mon chauffeur n'est pas un fou du volant, et qu'il conduit même très bien.

Nous arrivons enfin au poste de Police, au numéro 5 de l'avenue. C'est un endroit rempli d'agents en uniformes, d'inspecteurs en grands imperméables et de malfrats souvent ensanglantés. Je ne suis guère surpris de ne pas pouvoir voir les traits de qui que ce soit. Les cris des détenus résonnent dans les couloirs, les bruits de clés, de menottes, et de matraques posent une ambiance des plus… chaleureuses et accueillantes. Léonard me conduit jusqu'à une pièce qui, je présume, est son bureau, pour que nous soyons plus au calme. Il me fait asseoir face à lui et reprend la conversation où il l'avait laissée :

- Monsieur Rykerson… Je peux vous appeler Josh ?

J'acquiesce avec mon demi-sourire qui ne m'a pas quitté.

- Eh bien, Josh, quand avez-vous vu Mademoiselle Kriegler pour la dernière fois ?

La question me prend de court.

- Zarah ? Zarah Kriegler ? Lui serait-il arrivé quelque chose ?

Il doit y avoir erreur sur la personne.

- Je suis ravi de constater que, de toute évidence, votre surprise n'est pas feinte, mais veuillez répondre à la question, je vous prie.

C'est très agaçant de ne pas voir le visage de quelqu'un quand il s'adresse à vous. L'intonation est largement insuffisante pour juger du sens exact des paroles prononcées, finalement…

- Je… Er… Je n'ai pas la date en tête mais c'était il y a quelque temps déjà. Je suis allée la voir suite à la mort de sa meilleure amie, dès que je l'ai appris dans les journaux. Vous avez dû en entendre parler, c'est cette histoire surprenante d'insectes.

J'aimerais quand même savoir pourquoi on m'amène au poste pour me demander ça !

- Oh. J'ignorais que Mademoiselle Kriegler était impliquée dans cette affaire.

Je note malgré moi l'usage de l'imparfait.

- Était ?

Je crois que mon cœur a raté un battement.

- Oui, l'affaire est close à l'heure actuelle.

J'étouffe mon soupir de soulagement et continue la conversation.

- Et bien, impliquée, non, elle était proche des victimes, c'est tout. Mais, s'il vous plaît, vous pourriez me dire pourquoi, exactement, vous me demandez ça ?

Mon ton suppliant a dû le convaincre.

- Mademoiselle Kriegler a disparu il y a quelques jours. J'aurais pensé que, étant son fiancé, vous seriez au courant.

Je dois réellement me retenir d'éclater de rire.

- Er… En fait, nous n'avons jamais été fiancés, je n'ai jamais été qu'un petit ami pour elle… Avant qu'on rompe, bien entendu.

C'est la conversation la plus anodine que j'ai eu depuis longtemps. Il y a quelque temps, repenser à ma rupture aurait été sensible mais aujourd'hui, ça paraît tellement… loin et normal.

- Vous m'en voyez navré. Vous semblez cependant être la dernière personne à lui avoir véritablement parlé. Qu'avez-vous dit ?

Il commence à être lourd.

- Rien de spécial. Je l'ai soutenue. Elle était en pleurs. Rien de plus normal. Enfin, il y a bien eu cet accident avec le chandelier, mais…

Là vous vous dites que je suis bête d'en avoir parlé, mais je pense plutôt qu'ils le découvriront tôt ou tard.

- Quel accident avec le chandelier ?

Je hausse les épaules.

- Le luminaire de son salon est tombé du plafond. Je l'ai poussée pour ne pas qu'elle se fasse assommer, c'est tout, rien de grave. Écoutez, je ne sais pas de quoi vous me soupçonnez mais il vaudrait mieux interroger les étudiants en stylisme de son université, qui la voient à peu près mille fois plus que moi depuis les vacances d'Été.

Vrai !

- Nous avons déjà procédé à l'interrogatoire de chaque élève de cette faculté : elle n'a parlé à personne ou presque depuis le décès de ses amies. Voilà pourquoi nous nous sommes tournés vers vous.

Je baisse les yeux.

- Ah. En effet, tout s'explique. Malheureusement, je crains de ne vous être d'aucune aide…

Ce n'est pas faux.

J'attends une réponse, mais elle ne vient pas. En prêtant de nouveau attention à mon interlocuteur, je m'aperçois qu'il est figé. Avec un mouvement de recul, je scanne la pièce du regard. Et il est là ! Mon fameux dérivé invisible est visible ! Il masque toujours les traits des autres personnes présentes dans le commissariat, autant que je peux en juger, mais il est apparu ! Oui, en effet, il est apparu et il est très étrange. En fait, c'est un cowboy. Nonchalamment adossé dans un coin de la pièce, il me scrute de la tête aux pieds de ses yeux bleu ciel, avec son chapeau à larges bords, ses jeans, et ses bottes à éperons.

- Er… Puis-je faire quelque chose pour vous ?

Il sourit en coin, comme n'importe quel cowboy le ferait, dans le fond.

- C'est moi qui suis là pour t'aider, p'tit gars.

Il me salue en attrapant la bordure de son chapeau, et je note l'étoile de Shérif agrafée à sa veste.

- Je me présente, je suis le Shérif Léonard, et oui, je suis l'ancêtre de celui qui se tient justement devant toi. Insensé, non ?

Je suis impressionné : je rencontre rarement des dérivés aussi anciens.

- Et en quoi pouvez-vous m'aider ?

Cette fois son sourire est plus large et laisse entrevoir des dents éclatantes.

- Ordre venu d'en haut. Je dois te tirer des ennuis, puisqu'il semblerait que tu les attires autant que nous. Je vais avoir une petite "conversation" avec mon descendant, et tu seras au-dessus de tout soupçon. Tu sais, les poulets actuels sont moins instinctifs qu'autrefois, il leur faut un suspect, et même si rien ne mène à toi, sur ce coup-là, ce sera justement toi le bouc émissaire. Alors comme ce serait assez malvenu, j'interviens.

Il réajuste son couvre-chef.

- Okay alors… merci d'avance ! Et aurais-je le droit de savoir ce que vous êtes exactement ? Simple curiosité.

Il fait rouler une étoile métallique à son talon droit.

- Je suis l'une des nombreuses incarnations de la Justice, garçon. La Justice avec un grand J. On t'a déjà expliqué comment on était répartis après, pas vrai ?

Il hausse un sourcil.

- Oui, je suis au courant. Mais… pourquoi cacher les visages ?

Un geste ample du bras suffit à désigner notre entourage direct, figé.

- La Justice est aveugle ne fonctionne pas dans ce cas. Je dirais que c'est pour le style mais ce serait assez ridicule, alors je vais simplement te dire que la patronne l'a exigé. J'ai une dette envers cette petite, et puis je ne me sers presque jamais de cette habilité, alors pour une fois…

Je brûle d'envie de le questionner sur "sa patronne" mais il refroidit malheureusement mes ardeurs.

- Allez, assez discutaillé, Ciao, Amigo !

Un clin d'œil, un large sourire Hollywoodien, et il a disparu sans que je ne puisse le retenir. Face à moi, l'inspecteur Léonard, le vrai, celui de mon époque, reprend vie, comme si de rien n'était.

- Oui, c'est certain, vous n'êtes pas allé sur les lieux de l'enlèvement depuis un bon bout de temps déjà. Je me demande ce qui m'a pris de vous amener ici et de vous faire passer cet interrogatoire. L'absence de piste, sans doute…

Il sort cette dernière phrase à voix basse, espérant sûrement qu'elle m'échappe, et soupire.

- Désolé de vous avoir dérangé. Voici ma carte. Si vous avez un flash, une idée, n'hésitez pas…

Il me tend un petit papier rectangulaire cartonné inscrit de ses coordonné.

- Pas de souci. À votre service. Et j'essayerai d'y penser, je vous le promets.

Après les salutations d'usage, il me reconduit à la porte et je sors du bâtiment.

Je me masse les tempes, en proie à une soudaine inquiétude : qu'est-il arrivé à Zarah ? Il est clair et net que ce n'est pas une coïncidence si une mystérieuse et psychopathe Botaniste du Paradis a tué ses deux meilleures amies et qu'aujourd'hui on découvre qu'elle a disparu. Et bien évidemment, tout ça a à voir avec moi, moi le Magnet. Je n'ai pas le temps de souffler qu'une voix sortie de nulle part s'adresse à moi.

- Euh… Pardon, toutes mes excuses !

Un accent Français ? C'est quoi ce délire ? Je tourne sur moi-même mais ne vois personne.

- Ici ! Par ici je vous prie.

Une tape sur l'épaule me donne la direction vers laquelle me tourner, mais décidément, c'est la mode de l'invisibilité chez mes protégés…

- Er… Où êtes-vous ?

Je crois que je deviens blasé.

- Je suis terriblement confus de n'être point visible mais, voyez-vous, mon monde est si incongrument différent du vôtre. Je m'en excuse platement mais peut-être, j'y songe, ceci vous aidera-t-il ?

Wow ! C'est le chat du Cheshire ce type ? Deux yeux verts apparaissent à hauteur des miens. Je pousse l'inconnu dans une ruelle, à l'abri des regards.

- Qui êtes-vous, d'où venez-vous, et surtout, que voulez-vous ?

Je l'entendrais presque sourire.

- Je me nomme Enzo, je suis originaire du monde des rêves et il faut impérativement que vous alliez quérir la princesse !

Ha Ha Ha.

- Hum. D'accord. Quel est exactement ce monde dont tu parles ?

Je ne peux pas me résoudre à vouvoyer cette voix plus longtemps parce qu'elle me semble guère plus âgée que moi. Et d'ailleurs, le regard émeraude le confirme ; mon interlocuteur n'est pas bien vieux.

- C'est si complexe, pas où dois-je commencer ? Certains Humains ne rêvent pas comme les autres. La nuit, une partie de leur être se rend dans mon royaume, et à l'heure de leur mort, ces Humains si particuliers viennent vivre indéfiniment parmi notre population. Enfin peu importe, il s'avère malencontreusement que la princesse de notre contrée est introuvable ! C'est une tragédie !

- Mais attend… Les dérivés vivent sur Terre !

C'est élémentaire, mon cher.

- Que nenni ! Une conséquente partie d'entre nous vit dans l'Entre-deux. L'ignoriez-vous ?

Okay, je préfère laissez tomber. Et encore une question pour ma visiteuse !

- Bon, ce n'est pas grave, dis-moi simplement qu'est-ce que je dois faire à propos de ta princesse.

Parce que là, je sèche.

- Comme je l'ai dit, c'est complexe. Notre pays est en guerre avec les Hommes-Serpents et a besoin de son guide. Notre princesse peut régner en vie, durant son sommeil, ou bien morte, en s'installant définitivement à nos côtés. Le souci est qu'elle est justement entrée dans un état à partir duquel elle ne peut pas assumer ses fonctions souveraines : entre la vie et la mort.

Mais qui a inventé cette race, une gamine de 8 ans ?

- Donc, celle que je dois chercher est dans le coma ?

Dans une ville comme Boston, autant chercher une aiguille dans un botte de foin, non, dans 12 bottes de foin !

- Peut-être, j'ignore une grande partie de votre vocabulaire.

Ça alors, je n'avais pas remarqué !

- Et j'imagine que tu n'as pas la moindre idée d'où elle est…?

Les yeux se plissent avant de disparaître.

Bien sûr, je pourrais m'affoler pour Enzo, mais j'ai moi-même d'autres chats à fouetter, sachant qu'une main un peu trop ferme vient tout juste de se plaquer sur ma bouche et de m'entraîner en arrière, menaçant de me briser la nuque. Je me débats sans le moindre succès contre la poigne surhumaine qui me maintient en place. Je sens une respiration glaciale dans mon cou et quelque chose de métallique à l'arrière de mon crâne, bien que je ne puisse pas l'aimanter. Mais qu'est-ce que…?

- Ne bouge surtout pas.

La voix est trempée dans l'acier. Sans jamais l'avoir étendue je sais à qui elle appartient. Pourquoi ne me laisse-t-il pas le regarder, puisque de toutes manières il porte un masque ?

- Malin. L'argent… ça ne s'aimante pas…

Sa prise s'est déplacée de sa main sur ma bouche à son avant-bras sur ma gorge. Je sens sa mâchoire se contracter. S'il sourit ou s'il serre les dents, je ne peux pas le dire.

- Et tu ne me croiras peut-être pas, mais j'ai trouvé ça tout seul.

Tordant.

- En attendant, il y a quelque part où toi et moi devons tous les deux aller, sauf que moi j'y suis interdit sous peine de… sous peine de quelque chose de pire que la damnation, quelque chose qui te dépasse. Je mise donc sur le fait que te servir de taxi ne me fera écoper que du strict minimum. Et avant toute objection, oui, ça en vaut la peine.

Il resserre sa clé de bras et la tête me tourne violemment sous le manque d'oxygène.

 

 

À mon réveil, de petites étincelles dansent devant mes yeux. À leur forme étoilée, je me rappelle du cowboy avant que la mémoire des évènements ayant suivi la scène du commissariat me revienne : Enzo, sa princesse, le type au masque d'argent. Mon cerveau commande à mon corps de se relever d'un bond mais rien dans mon organisme ne répond. Ma respiration est d'abord laborieuse puis se régularise, en même temps que je recouvre la vue. Mes paupières papillonnent un instant alors que je suis ébloui par une lumière crue. C'est à cet instant que je me demande où je me trouve.

Quelque chose de lisse et frais sous ma tempe laisse penser à du carrelage. Par un effort extrême je parviens à pousser sur mes bras pour me redresser. En appui sur mon coude gauche, je découvre le hall de l'infirmerie du MIT. Hein ? C'est quoi cette blague ? Je tourne la tête en entendant une respiration. C'est June, bien sûr, qui d'autre. Mais elle n'est pas parée de son habituel sourire angélique. Non, elle est assise par terre, adossée à côté de la porte de sa salle et de grosses larmes de crocodile coulent le long de ses joues.

- Ju… June ?

Ew ! J'ai la voix pâteuse. L'interpellée se tourne immédiatement vers moi, en un sursaut.

- Josh !

Elle lâche un halètement, comme si je revenais d'entre les morts. Attendez… Serait-ce le cas ?

- Qu'est-ce qui… s'est passé ?

J'ai la gorge sèche.

- Je… J'ai cru qu'… que tu étais mort !

Son soupir soulagé est flatteur, quelque part.

- Non. Enfin je… ne crois pas. J'ai… été transporté par…

Elle m'interrompt.

- Je n'ai rien vu. J'ai entendu du bruit et quand je suis arrivée tu étais étendu là, complètement immobile.

Sa voix qui se brise laisse présager ce qu'elle a dû penser. Elle aurait pu vérifier mes signes vitaux, quand même !

- Mais… Er… Je sais pas trop comment t'expliquer ça mais… la personne qui t'a conduit ici est tombée à pic.

Elle semble craindre ma réaction.

- C'était un homme. Celui de mon rêve.

Pas besoin de beaucoup d'énergie pour lancer un regard noir genre "je t'avais bien dit que ce n'était pas mon imagination."

- D'accord, alors tu n'as rien imaginé, je m'excuse d'avoir douté de ta parole. Cela n'empêche pas que je ne sache rien à ce sujet.

Menteuse.

- Et alors, pourquoi est-il tombé à pic ?

J'arrive à m'asseoir, exploit notable.

- Et bien… il y a quelque chose que tu dois faire. Ici.

Je déteste quand quelqu'un a cet air de devoir dire quelque chose mais de ne pas savoir comment s'y prendre.

- Crache le morceau. Je ne suis pas en état pour les devinettes.

Elle fronce le nez. Je ne sais pas ce qu'elle est, mais arriver à rester digne en grimaçant, c'est fort sympathique, comme capacité.

- Tu es en état d'être magnétique, au moins ?

C'est drôle, mais même depuis que je sais qu'elle est un dérivé, un dérivé mort d'ailleurs, je n'ai pas l'impression qu'on ait déjà abordé franchement le sujet de mon magnétisme. Vive les tabous inutiles.

- Pourquoi ?

Elle me regarde par-dessous ses cils. Moi je fronce les sourcils.

- Zarah est la princesse dont t'a parlé Enzo. Elle est dans le coma à cause de la Botaniste. Je l'ai amenée ici, et maintenant il faut que tu prennes la responsabilité de la débrancher.

Elle sort ça d'une traite, très rapidement, en contractant tout son corps comme si elle regrettait d'avance ses paroles.

- Hein ? Quoi ?

Remarque, elle a des raisons de regretter.

- Par pitié, ne me force pas à dire ça une nouvelle fois.

Être l'émissaire de ce genre d'informations ne doit pas être facile.

- Si Zarah ne rêvait pas comme tout le monde, tu ne crois pas que je serais au courant ? Mais attends… Pourquoi elle est ici ? Pourquoi la Botaniste s'en est pris à elle ? Mais qu'est-ce qui se passe, nom d'un chien ?!!

Les lumières clignotent. June a les yeux rivés sur le sol. Elle n'ose pas me regarder.

- Ce sont les mêmes commanditaires que pour July et Eva, mais j'ignore leur mobile, je t'assure. J'ai amené Zarah ici parce que je savais ce que tu aurais à faire et que ce serait moi facile dans un hôpital rempli de témoins potentiels, qui se plient aux lois terriennes.

Ses pleurs redoublent, toujours silencieux. Je me relève.

- Tu… Je… Tu es en train de me demander de tuer Zarah…?

Elle hoche positivement la tête, ce qui a pour effet de faire tomber plusieurs larmes sur le sol.

- Jamais ! Tu peux toujours courir ! Non mais c'est quoi, ton trip ? C'est Zarah ! Merde à la fin !

Je suis en même temps choqué, triste, et furieux. June se lève à son tour, sans essuyer ses larmes, mais sans qu'aucune nouvelle ne ruissèle.

- Justement, c'est Zarah. Elle va partir de toute façon, et si ce n'est pas très bientôt, elle trouvera son monde détruit.

Elle ne me convaincra pas, quoi qu'elle dise.

- Alors vas-y ! Fais-le ! Achève-la !

J'enrage.

- Ce n'est pas en mon pouvoir.

Mais bien sûr !

- Débrancher un fil, c'est sûr que c'est un effort au-dessus de tes incroyables capacités !

Je deviens blessant. N'importe quel dérivé est nécessairement plus fort qu'un Humain, d'une façon ou d'une autre, et ce détail fait partie de leur fierté à tous.

- Elle souffrirait.

C'est la réponse la plus inattendue possible.

- Et si c'est moi, ce sera comme de s'endormir, évidemment ! Il est hors de question que je lui fasse le moindre mal, tu m'entends ? Hors de question.

C'est un mauvais rêve, c'est impossible autrement.

- Et si c'était n'importe qui d'autre ? Une inconnue ?

Elle me cherche ou quoi ?

- Idem ! Pour qui me prends-tu ? Mais que ce soit elle c'est… c'est encore pire. Je suis amoureux d'elle, et ce n'est pas parce qu'on est séparés que ça va s'envoler comme ça !

Je marque une pause, essoufflé. June ne dit rien. Je ne m'étais pas rendu compte de tout ce que j'avais refoulé à propos de Zarah, et c'est comme si tout ça me tombait dessus d'un coup, mais qu'au lieu de me rendre fou de tristesse, ça perçait tout bonnement mon incroyable détachement et laissait libre cours à ma colère.

- Mais bon, bien sûr, tu ne peux pas comprendre ce genre de choses ; tu es morte depuis Dieu seul sait quand.

Je ne sais pas pourquoi mais voilà qu'elle me gifle, juste assez fort pour ne pas me briser tous les os du crâne.

- Je t'interdis de dire ça ! Tu ignores quel sujet tu abordes ! Quel dilemme, de devoir rendre la fille qu'on aime heureuse ! Si seulement tout le monde avait cette chance ! Tu n'es pas le premier à devoir mettre fin aux jours de celle qu'il aime plus que tout, et je te garantis que tes prédécesseurs auraient apprécié d'avoir à le faire pour le bonheur de leur dulcinée ! Tu es un imbécile, Josh, un gosse idiot qui sous prétexte qu'on lui a accordé un certain pouvoir se croit permis de juger ce qui le dépasse totalement ! Je t'interdis formellement de sous-entendre une nouvelle fois ce que tu viens d'oser affirmer ! N'essaye même pas pour voir…

Ses yeux lancent des flammes et moi j'essuie d'un revers de main le sang qui coule au coin de ma lèvre inférieure, de plus en plus en colère, sans parvenir à me contrôler.

Le problème à l'heure actuelle, c'est qu'en fait, je n'ai pas entendu la moitié de ce que June m'a dit, au final. J'ai comme un sifflement strident dans les oreilles, de plus en plus insoutenable. Les lumières s'éteignent brusquement. Je place les talons de mes mains sur mes temps, réflexe stupide et incohérent pour faire taire la douleur. La colère de June semble tomber à plat instantanément alors que la mienne s'échappe de moi par mille et une cicatrices rouvertes mais dont je ne connaissais même pas l'existence. L'infirmière jette un coup d'œil aux plafonniers se balançant dangereusement au-dessus de nos têtes.

- Tungstène ? Montre-moi tes yeux.

Je n'entends rien.

- Hein ?

Je serre les dents.

- Regarde-moi.

Elle s'approche encore, je recule.

- Ne m'approche pas !

Elle secoue la tête, exaspérée.

- La ferme.

Elle écarte mes mains et soulève mon menton sans ménagement.

- Tes iris sont d'un gris mat, Josh. Tu ferais mieux de t'asseoir.

Elle me lâche et croise les bras.

- Je ne prends pas de conseil de…

Boum. Je m'effondre sur le sol. Une fois de plus. Une fois de plus ou de moins, me direz-vous. La souffrance me happe.

 

 

Dans mon cas, l'évanouissement pourrait presque être considéré comme une discipline. Vous savez, comme le plongeon acrobatique, aux jeux olympiques. Sauf qu'au lieu de la hauteur du plongeoir on prendrait le temps resté inconscient, et pour les figures on pourrait s'en tenir aux causes et conséquences du malaise.

Cette fois-ci, je m'éveille d'un coup, en pleine possession de mes moyens et de mes sens. Je constate que je suis assis. Premier changement. Deuxième changement : je suis assis et attaché. Quoique ligoté serait plus exact. Mais au moins, je ne suis pas seul, Dwight est sur une chaise voisine, en sueur, arborant un air affolé comme je ne lui ai jamais vu. Je prends note du fait que nous nous trouvons toujours dans l'infirmerie, quoique dans l'arrière-salle et plus dans le hall. Troisième et dernier changement capital, je pense.

- Hey ! Vieux ! T'es réveillé !!! Purée j'ai cru qu'elle t'avait carrément dézingué ! J'ai flippé grave !

Le soulagement est palpable dans la voix de mon Tuteur. Décidément, après l'invisibilité, c'est la mode de me croire mort.

- Non, Dwight, je vais bien, pour autant que je peux en juger. Mais… Comment se fait-il que tu sois attaché ?

Moi c'est surprenant sans plus. Lui c'est impensable. On n'enferme pas la liberté absolue.

- Cette sale truie m'a fichu des cordes sous tension. La garce ! Et t'y peux pas grand-chose vu qu'c'est pas franchement terrien, son machin.

En effet, ses chaînes semblent tout à fait normales.

- Pourquoi June nous séquestrerait-elle ?

Il ouvre la bouche pour répondre mais notre infirmière préférée fait irruption dans la pièce.

- Pour toi parce qu'il faut vraiment que tu fasses ce que je t'ai expliqué et qu'il va falloir que je t'y oblige. Pour Dwight, il était inquiet et a débarqué sans prévenir, or je ne pouvais pas le laisser t'emporter.

Elle est calmée, toutes ses larmes envolées, toute émotion tumultueuse remplacée par son habituelle placidité.

- Grognasse.

Elle ferme les yeux, comme pour se contenir, et Dwight se tord de douleur, son expression apeurée de retour sur son visage.

- Tiens ta langue, ces liens ne sont pas à moi, je ne les contrôle en rien.

Elle semble tout de même désolée de ce qu'elle inflige au Jumper, malgré tout.

- Tu comptes échanger la mort de Zarah contre la liberté de Dwight ?

Je ne vois pas d'autre explication. Elle semble étonnée de mes conclusions.

- Non, pas du tout. En fait, en retenant Dwight, je l'empêche de t'empêcher de mener Zarah à la mort, et par la même j'empêche la destruction de tout un royaume.

Elle hausse les épaules, comme une enfant énonçant une évidence.

- Mais pourquoi moi en particulier ? En quoi le fait que JE débranche les tuyaux la fera… partir différemment ?

Et aussi, pourquoi ne suis-je plus en colère ? Ce doit être ça le plus insolite.

- Parce que tu es un Magnet. Tu es magnétique. Tu ne vas pas tirer de fils ou de tuyaux, tu vas simplement entrer dans la pièce et dérégler les moniteurs par ta simple présence. Enfin… les moniteurs et certains petits détails dans son cerveau comateux. Là est la différence, tu saisis ?

Elle explique tout ça avec un tel détachement !

- Et pour ta seconde question, j'ai une certaine influence sur l'environnement émotionnel. Et oui, je lis aussi dans les pensées, quand je veux.

Je reste bouche bée.

- Tu ne me forceras pas à aller la voir.

Je ne crois même pas ce que je dis. Serais-je donc le bourreau de Zarah contre mon gré ?

- Je vais te laisser une minute avec elle avant de retirer les brides que j'ai placées sur ta colère. Mais tu dois savoir que je suis désolée que tout ceci ait à finir de cette façon. Crois-moi.

Elle a l'air sincère mais je ne suis pas prêt, à cet instant précis, à lui accorder mon crédit.

- Il y a véritablement certaines choses que je ne suis pas enclin à croire, venant de toi.

Elle se mord la lèvre, échange un regard avec Dwight, qui, à son visage, vient de comprendre la situation.

June baisse les yeux puis nous tourne le dos. Elle lève la main droite, éclairée d'un étrange halo bleu, et mes liens disparaissent. En revanche, Dwight est entouré d'une cage de verre. Parfait isolant.

- Va la voir. Fais-moi signe quand tu seras prêt. Si tu fais mine de t'enfuir, mes restrictions seront immédiatement levées. Encore une fois, je suis désolée.

Elle ne se retourne pas pour me dire ça.

Comme je ne fais pas mine de me lever, elle agite le bout de doigts et je tombe de mon siège. Elle soupire discrètement et va s'asseoir à son bureau, dans la salle principale, là où je dois justement me rendre. Me rendre pour dire adieu à Zarah. Je me relève lentement, évite scrupuleusement de croiser le regard compatissant de Dwight, et avance à pas lents jusqu'à ma destination.

Zarah est superbe. On dirait qu'elle dort. Toutes les machines médicales ont été rendues muettes par je ne sais quelle opération. Ses boucles sombres s'étalent autour de son visage immaculé. Ses immenses yeux marron sont clos. Sa respiration est faible, mais régulière. June fait bien son travail ; je ne pleure pas. Je lève la main pour la poser sur le joue de la première (et pour l'heure dernière) fille à avoir eu une place dans mon cœur. Sa peau est douce et soyeuse, à peine plus fraîche que d'ordinaire.

- Salut, toi. Je vois que ce n'est pas la grande forme. Je… sais que ce qui t'est arrivé c'est à cause de moi. Je m'excuse, je t'assure, je suis désolé. Si j'avais pu, j'aurais évité que cette folle dangereuse s'approche de toi. Je suis un Magnet carrément nul. Enfin bon, tu ne sais même pas encore ce qu'est un Magnet, alors tu es sans doute en train de penser "Qu'est-ce que tu me racontes encore comme conneries ?". Tu disais tout le temps ça quand j'utilisais un mot que tu ne comprenais pas.

En d'autres circonstances, je rirais à ce souvenir, même sans joie.

- Mais tu sais quoi ? Paraît-il que là où tu vas, c'est très joli. Enfin, je te dis ça, mais tu sais mieux que moi à quoi ça ressemble. Bref, ils ont besoin de toi. Et, soit dit en passant, ça ne m'étonne pas du tout que tu sois une princesse.

Deux yeux émeraude apparaissent dans le vide, animés d'une lueur reconnaissante.

- Je t'aime, Zarah. Emmène-ça avec toi. Ne l'oublie pas, d'accord ?

Je l'embrasse sur le front et hurle mentalement à June de faire ce qu'elle a à faire, non sans l'insulter au passage presque sans m'en rendre compte.

Je suis prêt. Je mobilise d'avance ma faculté d'abstraction hors pair. Ma colère, ma rage, ma tristesse, tous ces sentiments brutaux se heurtent non pas à l'usuelle barrière de bois, présente naturellement dans mon esprit, mais à un mur de béton armé que j'ai volontairement dressé. Je perçois alors le contrôle absolu de mon magnétisme couler en moi comme de l'eau clair. Pas de bruit strident à mes tympans mais bien tous les objets métalliques sur un large périmètre qui vibrent, parfois se brisent ou se plient. Je n'ai pas besoin de lever la tête pour savoir que le tracé de l'électrocardiogramme de Zarah est plat. Elle s'est tout bonnement arrêtée de respirer, comme ça. Le regard vert s'estompe après avoir cligné un profond remerciement. J'abats mes paupières. Qu'est-ce que j'ai fait ?

En les rouvrant je vois June, arborant de la fierté sur sa face. Très déplacé. Dwight est derrière elle, me regardant bizarrement. Le corps de Zarah a disparu. Je souffle un coup et m'humecte les lèvres. Je m'apprête à partir. Je n'ai plus rien à dire ou à faire ici.

- Pas si vite. Tes yeux sont encore gris et il me reste des choses à te dire.

Je la fixe d'un regard vide, sans comprendre. Elle n'a pas osé m'attraper le bras.

- Sérieux, vieux, t'es flippant, arrête ça.

Dwight tente de détendre l'atmosphère. Je connais ses bonnes intentions. Mais je ne comprends toujours pas de quoi ils parlent, tous les deux.

- Ton magnétisme est lié à tes émotions. Comme le sont la plupart des pouvoirs. Si tu satures, ça peut donner un malaise comme celui de tout à l'heure. Le seul signe avant-coureur est la couleur de tes yeux, qui vire au gris métal. Approprié.

Elle essaye de rester détachée mais n'y parvient de toute évidence plus. Elle craint que je la repousse alors qu'elle a encore des informations à me délivrer.

- Tu as encore de la torture morale à m'infliger, je me trompe ?

Je suis crevé, fatigué par toute ces choses qui bouillonnent en moi, que ce soit formidable puissance ou humeur massacrante. June peut bien y aller avec les mauvaises nouvelles, au point où j'en suis….

- Tes parents ont laissé ça pour toi.

Elle semble embarrassée de me faire subir tout ça. À nouveau, je ne comprends pas, surtout quand elle me tend un long paquet cylindrique, en titane.

- Qu'est-ce que c'est ?

Ma voix (comme mon allure, je suppose) est plus celle d'un zombie que la mienne.

- Ton héritage. Ils espèrent qu'un jour tu comprendras pourquoi ils ont commandité tout ça et que tu les pardonneras.

Elle espère visiblement la même chose.

- Mon héritage ? Mais ils ne peuvent pas mourir. Et commandité quoi ?

La compréhension se fraye petit à petit un chemin à travers mes synapses.

- Ils ne sont pas morts, ils ne sont simplement… plus ici. Ils ont été promus.

Sans savoir pourquoi, je sais que mes iris sont redevenus bruns.

Je titube jusqu'à trouver l'appui d'un mur. Ça, c'est la meilleure. Quand j'ai justement besoin d'eux, ils s'en vont. Et en plus, ils ont fait assassiner les meilleures amies de Zarah, après quoi ils se sont débrouillés pour que je sois dans l'obligation de l'envoyer elle aussi vers un monde meilleur. Je leur en voudrais certainement si je savais pourquoi…

J'examine le long paquet qu'ils m'ont laissé. Il y a une encoche mais je devine qu'aucune main ne pourra l'ouvrir. Je plisse les yeux et le couvercle circulaire vient se déposer dans la paume de ma main droite. Je le mets dans ma poche arrière et vide le contenu du tube : une tige apparemment en bois et une montre angoissante rien qu'à constater l'absence de quelque bouton que ce soit.

Le bâton est une arme de combat rapproché. Long, léger, souple mais solide. Il devait sûrement appartenir à Maman. Le mécanisme de la montre s'actionne par magnétisme (et surement au bout de longues heures de pratique). C'est sans doute Papa qui devait la porter. Les deux objets sont anciens, probablement aussi anciens que leurs propriétaires, et également indestructibles, c'est à n'en pas douter. Je me demande quelles aventures ils ont pu traverser…

- Pourquoi maintenant ?

Je n'ai même pas envie de savoir où sont partis mes parents exactement.

- Ils ont pensé l'accompagner.

Pas besoin de préciser qui. En répondant de façon concise, June espère peut-être se faire oublier, et ensuite pardonner.

- Je n'ai pas encore décidé si j'allais te haïr ou être indifférent à ton sort. Je me demande quel est le pire.

On dit que c'est l'indifférence. Je ne sais pas trop. Lequel lui laisse le bénéfice de se rattraper ?

Je tourne les talons, sors de l'infirmerie sans accorder un regard à l'infirmière. Dwight me suit sans un mot mais ses yeux me surveillent, protecteurs. Je me place à sa hauteur et lui adresse le meilleur sourire disponible sur le moment, après quoi je lui mets la main sur l'épaule, lui intimant du regard qu'il peut nous ramener à la maison. Chez nous. Une bonne nuit de sommeil ne sera pas de refus. Et je sais déjà ce que je ferai demain…

 

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