Épisode Huitième - Konichiwa

Il existe tout un tas de théories au sujet des rêves. On dit qu'ils nous portent conseil, qu'ils peuvent être prémonitoires, qu'ils reflètent nos peurs et nos envies profondes, ou bien qu'ils représentent tout simplement les informations qu'on a enregistrées dans la journée. On raconte qu'ils peuvent nous révéler des choses sur lesquelles ont avait ni indice ni soupçon ou même être le symptôme d'une grave maladie. La science de ce qu'on perçoit dans son sommeil (car il n'y a pas que le sens de la vue auquel on fait appel, vous êtes bien d'accord), si elle existe vraiment, est loin d'être exacte.

Je fais le même songe depuis plus d'une semaine, répété sans arrêt, à l'infini, me laissant toujours le même sentiment étrange et surtout, s'accentuant de plus en plus sur l'homme masqué. C'est très perturbant de rêver d'un garçon au point de pouvoir le dessiner les yeux fermés à son réveil. Si vous êtes une fille, bien évidemment, ça ne vous perturberait pas plus que ça, mais moi, aux dernières nouvelles, je suis un représentant du chromosome Y. En conférence, sans m'en rendre compte, j'ai rempli plusieurs coins de pages de son sourire asymétrique, de ses iris d'un marron intense contrastant sur le blanc de ses yeux, de ses sourcils parfaitement dessinés ni froncés ni haussés, de sa mâchoire à la courbe à la fois souple et dure, et j'en passe. Et dire qu'il porte un masque ! Enfin bref, vous voyez bien à quoi j'en suis réduit. Dwight ne démord pas de ses théories abracadabrantes sur ma face cachée inassumée. Malheureusement, au cas où vous auriez oublié, j'ai une vie parfaite. Par conséquent, je me débrouille dans un peu tous les domaines, et la vraisemblance de mes portraits n'aide pas à ma défense…

La connaissance parfaite de ce visage ne m'empêche de voir certains aspects m'échapper. Je ne parviens par exemple pas à déterminer son âge. Il n'a l'air ni vieux ni jeune, et en même temps il semble être les deux à la fois. C'est pareil pour son alignement, si je puis m'exprimer ainsi. Est-il pacifique ou belliqueux ? Il n'a aucune expression sur sa face et d'un autre côté, il les affiche toutes au même instant. J'ai déjà tenté, sans succès, d'exprimer ce qu'il m'inspire ; ce n'est pas la peine de faire une nouvelle expérience infructueuse.

Les traits de l'inconnu brûlent toujours ma rétine lorsque j'entre dans les bâtiments de mon campus. Cela fait moins d'une semaine que je suis rentré et j'ai bien évidemment repris toutes mes marques, le seul changement étant les étudiants de ma classe, détail auquel je prête rarement attention, comme tout un chacun d'ailleurs. Dehors une brume légère recouvre le paysage, météo typique d'un début de Septembre. Je traverse les couloirs d'un pas rapide. Vous connaissez la technique des requins pour repérer leurs proies, cette histoire de radar magnétique ? J'en ai découvert l'usage approximatif ces derniers temps, ce qui me permet de ne pas avoir à regarder autour de moi lorsque je me déplace. Malheureusement, je débute, et comme je l'ai dit, c'est de l'approximation. La collision est brusque.

- Hey ! Faites un peu attention !

Bam, mes livres et les siens s'étalent sur le sol. Mais qui est-ce ? Je ne prends pas la peine de regarder l'inconnue (car c'est une voix de fille qui m'a interpelé). En réalité, mon regard a été retenu par son manuel alors que je ramassais en hâte les ouvrages.

- Oh ! Er… Excusez-moi.

Je me redresse.

- Philosophie ?

Le ton est un peu plus vexant que dans ma tête.

- Quoi ?

Je lève enfin les yeux vers elle. Perchée sur des talons aiguilles, un short en jean peut-être un peu trop court pour le contexte, un T-shirt très seyant, un collier raz-de-cou, des cheveux noir ébène jusqu'aux omoplates, des yeux bleu océan… enfin bref, un top model, en somme.

- Ça t'étonne parce que je suis une fille ou bien parce que je suis féminine ?

Sa voix, tranchante comme un rasoir, n'est pas celle qu'on attendrait en la voyant, mais elle lui convient pourtant.

- Hein ? Ah, non, ce n'est pas ça du tout ! Il y a erreur ! C'est que, la philosophie, ce n'est déjà pas une matière facile en soi, alors ici au MIT, c'est impressionnant… Sans compter l'hostilité de la communauté scientifique, en large majorité dans les locaux.

Je suis honnête, dans l'empressement de corriger le malentendu. Elle me dévisage de ses yeux bleus savamment maquillés. Je remarque que sa mâchoire est plus carrée que celle d'un véritable mannequin.

- D'accord, je te crois.

Elle me jauge de la tête au pied, d'un léger battement des cils.

- Mais visiblement, toute la communauté scientifique, comme tu le dis si bien, n'est pas si "hostile".

Comment peut-elle savoir que je ne suis pas un artiste, un étudiant en droit, ou bien un architecte ? Je ne me considère pas comme un stéréotype.

- Qu'est-ce qui te fais dire ça ?

Elle laisse apparaître, dans un sourire de starlette hollywoodienne, des dents éclatantes de blancheur.

- Sans doute cette première de couverture, ornée de symboles mathématiques et de tubes à essai.

Elle fait une moue satisfaite, de ses lèvres nappées de gloss. Comment cette fille conserve-t-elle sa crédibilité ? Comment ne passe-t-elle pas pour une écervelée ? (Et je dis ça pour ne pas tomber dans les cieux éthérés de la vulgarité.)

- En effet, c'est un indice de taille…

Je souris à mon tour. J'ai sous le bras un de mes nombreux livres de chimie avancée.

- Au fait, je m'appelle Josh.

C'est tout moi de lâcher certaines choses n'importe quand.

- Moi c'est Wendy et oui, il m'est déjà arrivé de me faire surnommer Ready Steady…

Je cherche la référence pendant une brève seconde avant de penser au monstre des neiges. À mon avis, c'est cruel…

- Je ne me risquerai personnellement jamais à une telle comparaison, j'en fais serment.

Je lève la main droite.

- Tu serais presque curieux de savoir ce qui a pu mener à ce sobriquet… Je dis bien presque.

Je hoche la tête, me rendant compte qu'elle s'adresse plus à elle-même qu'à moi.

- En attendant, j'ai cours, et je suppose que toi aussi, alors… À la prochaine…!

Un charmant clin d'œil, un petit sourire en coin, et elle me contourne d'un pas gracieux. Je secoue la tête et me dirige moi aussi vers ma salle, ou plutôt mon laboratoire.

Vous savez le plus drôle dans tout ça ? Wendy n'est pas un dérivé et elle m'a pourtant adressé la parole ! Le hasard n'aurait-il pas totalement disparu de ma vie ? Cette idée me séduit, même si je sais bien qu'une relation avec un être humain quelconque est totalement exclue, et ce bien malgré moi…

 

 

Plusieurs ennuyeuses heures de manipulations plus tard, il est l'heure du déjeuner. Les rappels sont aussi inutiles que longs en ce début de troisième année, et pourtant ils sont obligatoires. Dans le parc, je laisse échapper un long bâillement et m'assois. À cette époque de l'année, Killian Court est plutôt vide, alors il n'est pas difficile d'y trouver un banc libre.

Sans surprise, j'ai passé la matinée à esquisser sur ma fiche de TP une certaine personne au masque argenté. Si je n'étais pas un si bon élève, et par conséquent au-delà de tout soupçon, le prof m'aurait sans aucun doute repéré. Décidément, mon passé parfait peut s'avérer utile. Toujours est-il que cette obsession inconsciente commence à m'agacer sérieusement. Et bien évidemment, je n'ai pas osé en parler au seul personnage connu de mes rêves, à savoir June. Non pas que je lui en veuille particulièrement, mais la situation est trop étrange. Je ne lui ai tout bonnement pas rendu visite depuis son "coming out", comme se plaît à dire Dwight. Et pourtant c'est presque sûr qu'elle aura une réponse, quand bien même avec ma veine de pendu elle fera partie de son fameux "secret naturel".

Je n'ai pas faim et laisse mon sandwich dans ma sacoche. En revanche j'ai soif alors je sors ma bouteille d'eau et bois au goulot. Un coup d'œil sur ma montre m'indique que mon cher et maladroit Tuteur devrait arriver d'une minute à l'autre. Il s'est mis en tête qu'on ne passait pas assez de temps ensembles, vous comprenez… Et justement, un groupe d'arbres s'agite sur ma gauche. Je tourne lentement la tête, blasé par ses apparitions plus saugrenues les unes que les autres.

- AaaaAAAAh !

Le bruit sourd qui suit ce hurlement n'est pas dû à un jump.

- Rien de cassé ?

J'ai fini par m'habituer à son inhabituelle résistance aux chocs. Comme quoi, on peut réellement se faire à tout. Je demande par politesse.

- Er… Ouep, j'crois…

Il surgit des fourrés, couvert de feuilles mortes et de terre.

- Mais c'est dingue c'que ces foutus arb'es poussent vite !

Je souris, amusé par sa mauvaise foi.

- Admets plutôt que ta visée ne s'améliore pas…

Un regard assassin pendant qu'il s'époussette. Tomber du ciel, il l'avait déjà fait, en revanche d'un arbre, c'est nouveau.

- Trop marrant. J'peux aussi t'laisser manger tout seul si ça t'chante !

C'est bien son seul point de susceptibilité.

- Tu n'oserais pas.

C'est lui qui a insisté pour venir…

- Ça t'en sais que dalle vieux !

Je l'observe de biais. J'ai déjà gagné l'argument. Il vient s'asseoir à côté de moi.

- J'ai de nouvelles œuvres pour toi, si ça peut te consoler.

Je lui tends mon brouillon, recouvert du plus gros de mes gribouillages matinaux.

- Wow ! T'es d'plus en plus doué !

Il est sincère, malheureusement.

- Merci du compliment, mais j'aimerais bien avoir une autre source d'inspiration, si tu vois ce que je veux dire.

Il ouvre la bouche pour répondre mais un coup de vent aussi soudain que violent fait tournoyer les feuilles sèches tout autour de nous.

On ferme tous les deux les yeux le temps de la bourrasque et lorsqu'on les rouvre, une vieille connaissance se tient là, devant nous. C'est certainement la dernière chose à laquelle je m'attendais.

- Josh. Belle journée pas vrai ? Enchanté, Dwight. J'ai beaucoup entendu parler de toi.

Après une inflexion de la tête qui a tout d'une révérence du genre moderne, un large sourire s'affiche sur le visage du nouveau venu.

- David ! Ça alors… Qu'est-ce qui t'amène ?

Mon premier dérivé blessé est en pleine forme, aucune trace apparente de son affrontement avec le fameux équidé noir et cornu. Je me lève et une accolade est de rigueur.

- Je joue les postiers ; j'ai une missive pour toi.

Je n'ai pas la chance de demander des précisions, Dwight interrompt :

- S'lut, mec. Bien r'mis à c'que j'vois.

Dwight et lui échangent une sorte de poignée de main secrète comme on en voit dans les films. D'où la connaissent-ils tous les deux, je l'ignore. Après tout, Dwight l'a sauvé en le transportant mais ne l'a jamais rencontré conscient.

- Impeccable, comme tu vois. J'ai deux trois cicatrices mais ce ne sont pas les premières et ce ne seront pas les dernières.

Il soulève légèrement le bas de son T-shirt et on aperçoit un de ses stigmates. Le disque cicatriciel, lisse et parfait, comme tracé au compas, est bien moins abominable que la plaie qui l'a causé.

- Et surtout, ça ne m'empêche pas de courir, c'est le principal !

Comme Dwight la téléportation, la course est le centre de sa vie, ça le définit. Je me rends compte que je suis moi aussi sans doute un peu défini par mon magnétisme.

- Tu disais avoir un message pour moi ?

- Un message ?

Dwighty pense souvent tout haut.

- C'est exact, et ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère, je t'assure. Regarde-moi ça !

Il sort de la poche intérieure de sa veste une enveloppe en parchemin, scellée par un tampon de cire.

- Et il n'y a pas que l'apparence, crois-moi. D'après ce que j'ai compris, l'expéditeur serait un collègue de mes bosses, ce qui signifie très très haut placé. Dommage que je n'en sache pas plus. Et mes bosses, justement, ne veulent pas que tu saches qui ils sont. Si je n'étais pas sûr à cent pour cent de ma filière, je dirais que ça sent la vieille chaussette !

J'en ai assez de ne pas être au courant de tout.

- L'expéditeur est passé par tes patrons qui sont passés par toi ?

La Poste, c'est bien aussi.

- C'est flou pour moi aussi. Disons que ce sont mes patrons qui ont insisté pour que l'expéditeur envoie cette lettre.

Pas facile de suivre lorsque personne ne peut être nommé.

- Quant à moi, c'est simplement parce que je suis la personne la plus rapide à ta connaissance. On craignait que tu ne fasses pas confiance à un inconnu.

- Ouais bah rien qu'ça c'est des bobards, d'jà !!!

Ça y est, Dwight est indigné.

- Pas d'offense ! Laisse-moi rectifier : je suis la personne la plus rapide que Josh connaisse dans mon… institution. (Je ne trouve pas d'autre mot, désolé.) Si tu étais de la maison, tu serais forcément classé plus rapide que moi, je n'en doute pas une seconde…

Il sait s'y prendre pour calmer les gens.

- Ouais… OK. Mais c'est quoi c't'institution ?

J'allais le dire.

- Vous le révéler équivaudrait à vous dire qui sont mes bosses. Je suis aussi perplexe que vous à propos de cette consigne absurde. Mais ouvre, Josh, tu auras peut-être des précisions, on ne sait jamais…

Il me remet l'enveloppe.

Je me saisis du papier. C'est léger et ça à l'air ancien. Avec précaution, j'examine le sceau. Il est difficile de lire dans la cire mais je déchiffre "Soulless Monkey". Le Singe Sans Âme ? C'est quoi, cette blague ? Intrigué, je vais pour le casser. Étonnamment, il résiste et se décolle tout naturellement, protégeant ainsi ce qui y a été gravé. C'est un sortilège ou un envoûtement quelconque, bref, ce n'est pas totalement humain. Je sors de l'enveloppe un parchemin plié en trois. C'est vide, hormis cette simple phrase: "la Panthère Ailée vous fait part de son arrivée imminente". Je lis à voix haute mes découvertes.

- Sympathiques métaphores animales, mais qu'est-ce que ça peut bien signifier? Ça te dit quelque chose Dave ?

Le mutant a hoché la tête en entendant les mots.

- Absolument. Je sais maintenant qui est l'expéditeur et qui va vous rendre visite. Vous n'êtes pas sortis de l'auberge !

Il éclate de rire.

- Ben j'ten prie, on a envie d'se bidonner aussi…!

Dwight n'a pas l'habitude d'être mis à l'écart des choses.

- Tu n'as pas compris? Alors la visite aura un double usage…

Visiblement, Dwight aurait dû comprendre. Bizarre.

- Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas dangereux. En revanche, ça m'amène à penser que pour que cette visite soit annoncée à l'avance, tu ne dois pas être un Magnet des plus courants ! Fais le bon choix le moment venu…

Les phrases sibyllines, ce n'est vraiment pas pour moi.

- Er… Je ferai de mon mieux !

Il me donne une tape sur l'épaule, nous accorde un bref salut et s'apprête à disparaître dans un tourbillon de feuilles mortes.

- Attends une petite minute, j'ai une question qui me revient !

June.

- Vas-y.

Il reste, disposé à répondre.

- L'infirmière, elle t'avait dit quoi sur moi, durant ton sommeil ?

J'ai failli oublier ce détail, de prime abord insignifiant, mais prenant tout son sens grâce à la révélation de la nature de l'intéressée.

- Elle pensait à haute voix, se demandait à quel point tu avais été mis au courant, ce que tu soupçonnais, ce genre de choses. Pourquoi ?

Ça ne semble pas le surprendre.

- Pour rien, juste pour savoir.

Ça ne m'avance pas à grand-chose.

- Je pensais que vous n'étiez même pas amis…?

Il sourit et lâche l'affaire.

- Allez, le devoir m'appelle. Et pourquoi pas à une prochaine fois ?

Il réitère son salut à notre adresse et s'éloigne pour de bon.

- Et er… sinon, t'as calé que'que chose ?

Tuteur et élève fixent la direction par laquelle est parti le "facteur".

- Pas un mot, je le crains.

On échange un regard intrigué et je prends mon sac sur le banc avant de passer la sangle par-dessus ma tête.

- Tu t'tailles d'jà ?

Le temps passe vite quand on s'amuse. Ou quand on se voit livrer des énigmes.

- Je pense qu'il est temps que je retourne voir June. J'en ai jusque-là de tous ces mystères à deux cents et elle, elle a des réponses, c'est sûr et certain.

Et puis aussi, on ne peut pas laisser la situation dans cet état misérable de non-dits et d'embarras.

Ma bouteille d'eau toujours à la main je pars à reculons, donnant rendez-vous à Dwight à l'appartement. Il acquiesce et jumpe pour je ne sais où. Moi j'oublie d'activer mon radar de requin, et en me retournant, devinez qui je bouscule ? Si, je suis maudit, je suis persuadé que c'est cette gamine possédée qui m'en a voulu !

- Hey ! Mais faites un peu…

Wendy s'interrompt abruptement, trempée et surtout sidérée (au moins autant que moi) que ce soit moi qu'elle ait percuté. Encore.

- Josh ?

- Er… Désolé. À nouveau.

Je fais la grimace et me demande comment je vais m'y prendre pour réparer les dégâts des eaux que j'ai causés.

- Soit tu me harcèles, soit tu es décidément très distrait lorsque tu te déplaces. Assure-moi que c'est la seconde proposition, par pitié.

Elle n'a pas l'air tellement fâchée, c'est déjà ça de pris.

- Je ne suis pas du genre à harceler les filles. Et devant l'évidence, je dois bien admettre que je suis très distrait lorsque je marche.

Un maigre sourire d'excuses fera peut-être son effet.

- Bon, ce n'est pas catastrophique, on dispose encore d'un petit moment avant la reprise des cours. Il ne te reste qu'à me dire que tu n'habites pas loin parce qu'il faut que je me change et que je vis trop loin d'ici pour que j'aie le temps d'aller chez moi.

Elle est culottée dans son genre, mais je lui dois bien ça. Tant pis pour la visite à June.

- Je n'habite pas loin d'ici.

Elle sourit finalement et fait signe qu'elle me suit.

Je la guide en silence jusqu'à chez moi. Elle semble très amusée par mon mutisme timide, certaine de son effet sur la gent masculine. Et moi je ne peux pas me résoudre à penser qu'elle se leurre…

 

 

Je présente Wendy et Dwight, et ce dernier préfère quitter la pièce plutôt que de baver devant la demoiselle. Ainsi on se retrouve avec elle dans la chambre, moi adossé à la porte fermée et Dwight dans la cuisine, encore à préparer l'un des mets de son régime alimentaire restreint. J'estime que c'est une chance que la miss n'ait que son T-shirt d'humide, car si elle peut le remplacer par un chemise d'homme, je ne sais pas ce qu'elle aurait pu mettre en lieu et place de son short.

Alors que je lui laisse libre accès à mon placard, quelqu'un frappe à l'entrée. Je vais ouvrir et découvre que, en fin de compte, c'est June qui est venue à moi, et pas l'inverse.

- June. Salut.

Arf, je ne sais pas du tout quoi dire. Ça n'a pas d'importance, un regard intrigué à ce qu'elle tient dans les mains remplace toute palabre.

- Pizza pour ton Tuteur et chinois pour toi. Je t'ai dit que je savais des choses, non ?

À la mention de son plat préféré, Dwight apparaît derrière moi. Je cache un sursaut de surprise.

- Quelqu'un a dit pizza ?

June lui offre l'un de ses sourires hors du commun et lui passe la boîte en carton.

- Merci…!

Et, comme un gosse avec un nouveau jouet, il nous laisse seuls. Je le regarde aller au salon, tout plutôt que d'affronter le regard de l'infirmière.

- Il fallait que je me refasse auprès de vous pour vous avoir caché tout un tas de choses.

Elle hausse les épaules, l'air désolé, et me donne l'autre boîte en carton qu'elle tenait, identique à la première demeure de Luther.

- Merci, ce n'était pas la peine.

Je baisse les yeux.

- Si, ça l'était. J'ai été gamine sur ce coup. Si c'était à refaire, je ferais pareil, mais je suis cependant très bien capable de me mettre à la place des autres. Je suis infirmière après tout.

- Ah, ce n'était pas une blague, ça au moins. Tu fais donc bien des études de médecine.

Elle se mord la lèvre.

- Oui c'est juste… pas la première fois que j'ai le diplôme.

Cette fois ce sont ses yeux bleus qui évitent les miens.

- Bref. Le meilleur moyen de t'excuser serait de me donner des explications, tu sais.

On se regarde enfin.

- C'est dommage que ce soit la seule chose que je ne puisse pas te donner.

Je suis plus persévérant que ça, elle devrait le savoir.

- Je ne parle pas seulement de ta nature, plutôt, par exemple, du masque d'argent ou bien du Singe Sans Âme et de la Panthère Ailée.

C'est seulement là que je pense à baisser d'un ton, me rappelant de la présence de Wendy deux portes plus loin.

- Tout ce que je peux te dire, c'est que le singe et la panthère sont une seule et même personne. D'où tiens-tu ces noms ?

Ah ? Elle ne sait pas ça ?

- Un lettre. Tu n'es donc pas au courant de tout ?

Je finirais bien par avoir l'avantage dans cette conversation.

- Cette personne est trop haut placée pour que je sache des choses à son sujet, c'est aussi simple que ça.

Je n'en tirerai pas plus d'elle sur ce point.

- Et le masque ?

Son regard se plisse. Elle porte la main à son pendentif. Elle ne le quitte donc jamais ?

- Ça n'a rien de sorcier. On a trouvé ce masque dans le parc. Aucun rapport avec toi en tant que Magnet.

Elle hausse les épaules. Elle est presque convaincante.

- Et pourtant depuis qu'on a trouvé cet objet, je revis la scène en rêve, avec en prime une rencontre avec celui qui porte ce masque.

C'est maintenant que j'ai l'avantage !

- C'est ton imagination, Josh !

Je rêve ou elle monte d'un ton ? J'ai touché la zone sensible. Mais pas le temps de continuer sur ma lancée, elle se penche vers l'intérieur.

- Il y a quelqu'un chez toi ? Je ferai mieux d'y aller…

- Attends ! Tu me dois d'autres réponses !

- Pas maintenant.

L'expression qu'elle m'adresse me dissuade d'insister pour l'instant, et je l'entends dévaler les escaliers.

Je me retourne au moment précis où Wendy sort de la chambre. Elle me sourit, portant une chemise à moi. Elle est toujours aussi séduisante.

- À qui tu parlais ?

Elle jette un œil par la porte que je suis en train de refermer.

- Une amie avec qui je suis un peu en froid. Prête ?

Je ne suis pas désireux de m'étendre sur le sujet.

- Oui. Salut, Dwight ! Ravie d'avoir fait ta connaissance !

Il répond vaguement quelque chose et j'en profite pour porter ma boîte de pâtes chinoises dans la cuisine.

Et on reprend ensemble le chemin inverse de tout à l'heure, toujours en silence, elle toujours avec son petit sourire satisfait. Et moi, cette fois, je planifie déjà ma prochaine visite à l'infirmière du MIT…

 

 

Arrivés devant les bâtiments, au moment de nous séparer, nous sommes en avance. C'est trop bête parce qu'on n'a rien à faire, rien à se dire et surtout, aucun prétexte pour déjà partir chacun de notre côté. Enfin, c'est ce que je croyais.

- Depuis qu'on s'est vus ce matin, je cogite sur quelque chose. Ça va peut-être te sembler une drôle de question mais… est-ce que… et puis non, laisse tomber, je me trompe sûrement.

Elle retombe dans le silence.

- Non, vas-y, les questions bizarres ne me font pas peur.

Et surtout, je suis curieux.

- Bon, si la réponse est non, il ne faudra pas que tu te moques de moi mais… est-ce qu'il t'est déjà arrivé de te réveiller un soir au beau milieu de la rue, avec des trous dans ton bras droit, sans savoir d'où ils venaient ?

Elle a l'air sérieuse. Il ne me faut pas beaucoup de temps pour comprendre à quelle nuit elle fait allusion. Comment est-elle au courant ? Je joue la prudence.

- Et bien je ne risque pas de me moquer de toi car ça m'est effectivement arrivé, oui, même si je n'ai pas de cicatrices pour le prouver.

C'est vrai, j'ai guéri d'une très belle façon.

- Je t'explique pourquoi je te demande ça, même si ça équivaut à te raconter ma vie, sinon tu vas me prendre pour une folle. En fait, la seule famille qu'il me reste, ce sont mes cousins, deux faux jumeaux, avec lesquels je vis.

Je hoche la tête.

- Walt et Tanya sont tes cousins, si je comprends bien ?

Un sourire illumine son visage.

- Exactement ! C'est assez fou que je tombe sur toi précisément, quand on pense au nombre de Josh qu'il doit y avoir dans cette université ! Tu sais, ils reviennent souvent couverts de sang parce qu'ils ont sauvé tel ou tel petit animal blessé mais cette nuit-là ils m'ont dit qu'ils avaient trouvé un garçon nommé "Josh du MIT", sans souvenir de ce qui avait causé les trous dans son bras. Ça me soulage de savoir que cette histoire n'est pas une invention pour cacher quelque chose de plus sombre et moins glorieux… Ils ont un don pour se fourrer dans le pétrin.

J'ai appris, depuis que je suis un Magnet, à ne plus croire aux coïncidences. Déjà que je trouvais suspect de me heurter, deux fois dans la même journée, à la même personne, si en plus elle s'avère être la cousine d'un duo Tueuse/Paladin, je crois que je n'ai plus aucun doute à avoir. Seulement, je ne peux pas lui demander de but en blanc si elle est au courant des faits et gestes de ses chers faux jumeaux roux.

- Je suis navré pour ta famille…

C'est tout ce que j'ai trouvé à dire.

- On a bien dû s'y faire. Mais merci quand même.

Mince à la fin, ce n'est pas un dérivé ! Elle n'a aucune raison d'être plongée dans tout ça ! Mais d'un autre côté, deux puissants mondes s'entrelacent déjà dans sa famille, il y a peu de chances qu'elle en ait été écartée…

- Et ils sauvent souvent des bestioles, alors ?

Elle me jette un drôle de regard que je ne parviens pas à identifier.

- Oui, ils sont généreux par nature…

Elle accentue le mot "nature".

- Par nature, c'est le mot, oui.

Me ferais-je des films tout seul ?

De toute évidence, non, car après une microseconde d'hésitation, Wendy se met à courir en direction de la rue. Je me mets immédiatement à sa poursuite. Je la rattrape sans difficulté au beau milieu de l'allée principale. Pas facile de fuir en hauts talons… Elle trébuche et se retrouve semi-allongée sur le sol, appuyée sur ses avant-bras. Elle retourne vers moi un regard furibond.

- Personne ne m'attachera de nouveau !

Je ne voudrais pas vous faire peur, mais ce n'était pas sa voix. C'était une voix grave, rauque et forte. Pas une voix d'humain, et encore moins une voix de fille. Je sens soudain un dérivé miniature approcher. Le signal est tamisé.

- Qu'est-ce que tu es ?

Je recule d'un pas. Ses yeux lancent des éclairs, au sens littéral du terme. Ils crépitent et leur bleu se fait plus intense. Elle halète de plus en plus fort mais se relève.

- Tu peux toujours essayer de deviner.

Elle rugit. Ou bien elle feule ? C'est indescriptible, peut-être un juste milieu.

Elle se jette sur moi. Et quand je dis se jette, elle bondit purement et simplement du sol, franchissant une distance impressionnante, compte-tenu de sa position de départ, sans élan. Je l'évite en roulant sur le sol. Elle continue de grogner furieusement tout en dérapant dans l'herbe. Je me relève, mobilisant mes connaissances du combat rapproché.

On entre dans une danse, jaugeant le jeu de jambes de l'autre, feintant. Le dérivé que je perçois est de plus en plus fort. Et c'est elle, c'est sûr. Comment a-t-elle pu cacher un tel potentiel ? Je ne savais pas que c'était possible de voiler sa nature, surtout à moi.

Une lutte inégale s'engage par la suite. D'une part parce que je suis suffisamment stupide pour avoir peur de frapper une fille, même quand je sais que ça n'en est pas une comme les autres, et d'autre part justement parce qu'elle n'est pas comme les autres. Quoi qu'elle soit, sa force est surhumaine.

Elle tente de faucher mes jambes pour me faire tomber, et doué comme je suis pour l'esquive, je saute à pieds joints et parvient à rester debout. Mais elle enchaîne par un coup de poing imprévu qui m'atteint à la pommette. Aouch ! Je lui rends son assaut par un coup de coude, là aussi dans le visage. Je regrette immédiatement mon geste. Elle se laisse dépasser par la rage et je ne peux pas l'éviter lorsqu'elle se jette sur moi, toutes dents dehors. Je sais, là vous essayer de me visualiser chevauché par un top model en furie, tentant de l'empêcher de me mordre à la gorge. C'est difficile, pas vrai ? Je vais vous aider. Essayer plutôt de m'imaginer recouvert d'une forme vaguement humaine, sombre, floue, et de laquelle émane des rayons d'un bleu iridescent. C'est mieux non ? N'oubliez pas les crocs impressionnants qui s'échappent de ce qui doit être la… gueule. Non, je ne peux pas me résoudre à dire bouche.

Bras croisés pour protéger ma jugulaire, j'opte finalement pour la technique du roulé-boulé. D'une pression du talon sur le sol, je nous fais tous deux rouler et réussis à me séparer de mon assaillante. Pantelant, je me redresse péniblement à quelques mètres d'elle pour assister au grand final de sa métamorphose. Les rayons s'intensifient au point de totalement masquer sa silhouette. Puis ils s'estompent et je découvre… un dragon. Une créature sublime, couverte d'écailles d'un bleu marine profond avec une crête de belle taille de la tête à la queue, avec des crocs d'une blancheur éblouissante laissant dépasser une langue de lézard et surtout avec des ailes géantes, semblables à celles d'une chauve-souris, implantées sur ses flancs. La bête doit être à peine plus petite que le bâtiment principal du MIT. Une chance qu'on soit parmi les arbres, à une heure peu fréquentée…

Je suis bouche bée. Immobile, j'en oublierais presque de respirer. Wendy, car c'est elle, je ne peux pas en douter, ouvre les yeux. Elle a toujours ses merveilleux yeux bleu clair. Elle se lève, jusqu'ici étendue sur le côté. En un pas à peine elle me surplombe de toute sa hauteur.

- Je parie que tu étais loin d'avoir deviné, hein, Magnet ?

La voix colle beaucoup plus à cette silhouette qu'à la précédente. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne pense pas que Wendy représente encore un danger. Cette idée est contraire au principe élémentaire de survie qui veut qu'on fuie les monstres, mais peu importe.

- Quelle famille…

Je suis un peu sonné.

- Tu l'as dit.

Elle semble contrariée.

- Tu penses que je vais t'attacher ?

C'est la première chose qu'elle a dite avec sa voix de dragon.

- C'est ce que tous les Magnets que j'ai rencontrés ont fait. Et l''honneur de ma race m'interdit de me défendre lorsque je suis sous ma forme dragonnesque…

Elle baisse son énorme tête à ma hauteur.

- Vas-y, j'ai l'habitude. Je me libèrerai dans cinq ans, pour ma prochaine phase de croissance… Ça fait quatre fois…

- On va faire un marché à la place. D'accord ?

Elle s'assoit dans un grand fracas. Je pense qu'elle fronce les sourcils mais c'est difficile à dire.

- Je t'écoute.

Je m'humecte les lèvres. Elle reste impressionnante, même inoffensive.

- Ton cousin est un paladin. Il cherche Dwight. Et toi tu sais où il vit. Je ne t'entraverais que si tu donnes ces informations à Walt. Sinon, tu es libre.

D'autant qu'elle ne représente pas un danger. Cette forme explique cependant certains aspects de sa figure humanoïde.

- Je n'hésite pas. J'accepte ton offre. En présence de Tanya, Walty n'est pas en mesure de te porter préjudice mais on ne sait jamais quand elle pourrait s'absenter… Tu es sage.

Je ne comprends pas mais peu importe. Elle tend sa patte qui doit bien faire ma taille. Je pose ma main sur une écaille. C'est froid.

- Affaire conclue. Maintenant j'ai une question totalement sans rapport.

Elle hausse un sourcil, je crois.

- C'est de naissance ?

De la fumée blanche sort de ses narines comme elle rit.

- Oui, je suis un dragon des glaces depuis ma naissance.

Des glaces ? Ça explique le bleu iridescent et le froid. Elle fait ce qui semble être un sourire et l'étrange métamorphose recommence dans l'autre sens.

- Je me transforme lorsque je me sens en danger. C'est plus fort que moi, je ne contrôle pas le changement.

Sa voix est normale.

- Je comprends, je suis terrifiant dans mon genre.

Elle secoue la tête en souriant.

- Humaine, hors de mes phases de métamorphose, je suis aussi vulnérable que n'importe qui, je suis normale. Et tu te défends très bien, je t'assure…!

Le soulagement se fait sentir dans sa voix. Pour ma part, quelque chose m'inquiète.

- Er… En revanche… Tu crois que quelqu'un a pu nous voir ?

J'ignore si elle dispose du talent de la licorne noire de passer inaperçue.

- En général, je givre tous ceux qui m'ont dans leur champ de vision, et leur mémoire est altérée. Toi, tu es un Magnet, c'est la seule chose qui t'a protégé.

Pratique, je le concède.

- Épatant. Je comprends mieux l'association au Wendigo… As-tu d'autres atouts de ce genre ?

Je crois avoir déjà précisé que j'ai une sorte de connivence avec les dérivés, une facilité à dialoguer.

- Et bien comme tu l'as remarqué, tu ne me repères pas sous cette forme. Sinon, en tant que dragon, je vole, je crache du givre et de la glace, et chaque partie de mon corps est aussi résistante que du diamant. Et bien sûr, j'ai une longévité assez conséquente. Aujourd'hui j'ai réellement vingt ans mais je ne sais pas si je vais vieillir ou bien mourir un jour…

Le dilemme de beaucoup de créature. Certaines sont poussées au suicide par la perspective de vivre éternellement. Ça défie toute logique.

- Comme tu vois, je n'en sais pas spécialement plus que toi sur moi-même. Il se peut même que j'ai encore des facultés enfouies…

- Ça arrive, parfois. Tu t'en sors bien.

- Merci. Et toi, tu es Magnet depuis longtemps?

On discute de la sorte jusqu'à la reprise des cours. Elle m'apprend que sa famille est constituée essentiellement de dérivés. Mais elle ne sait pas grand-chose d'autre, comme June ou bien Dwight, qui sont bien informés sur leurs congénères. Elle, elle s'en tient à sa propre dynastie. On se quitte en bons termes, bien qu'elle m'avoue ne pas avoir le droit de me fréquenter, de par un certain code quelconque. De toutes manières, elle déménage pour Seattle dans un mois…

 

 

Les cours de l'après-midi sont passés à la vitesse grand V, et comme tellement de fois, Dwight et moi sommes allongés à regarder le plafond. Quand je lui ai raconté ce qu'il s'était passé avec Wendy, il a été très fier de moi. Luther, libéré pour une fois de son vivarium, déambule lentement autour de nous.

- Ça m'a rappelé quelque chose…

- Ah ouais ? Quoi ?

- Walt, le paladin, il a parlé de toi en disant "pas n'importe quel Jumper". Tu n'aurais pas, par le plus grand des hasards, une idée de ce que ça peut vouloir dire ?

Je tourne la tête vers lui qui fixe toujours le plafond. Il sourit.

- Avec ta cervelle d'génie t'as pas trouvé ? Rhâ t'es trop nase. Réfléchis, j'suis pas officiel ! Pour m'trouver i' faut se l'ver l'matin… J'dois êt'e l'plus r'cherché d'mon espèce. Et en plus j'suis pas nul, j'suis même plutôt balèze genre rapide avec un large éventail d'points d'jump.

Et toujours cette petite once d'orgueil dans la voix.

- Ça se tient.

Je retourne à ma contemplation un bref instant.

- Je peux encore te demander quelque chose ?

- Vas-y, balance la sauce.

C'est un talent de Dwight de ne pas être contrariant.

- Comment fais-tu ? Tu ne vas pas à la fac, tu n'as pas de boulot, je ne sais à dire vrai pas du tout ce que tu fais de tes journées. Et aussi, comment se fait-il que tu saches tout un tas de choses ? Et même, comment se fait-il que vous sachiez tous tout un tas de choses ?

D'accord, ça fait plus d'une question mais… voilà.

- T'es doué qu'pour les sciences ou quoi ? C'est hyper fastoche ! Y a deux catégories d'dérivés. Y a ceux en descendance, comme ta pote Wendy, qui passent les infos d'génération en génération. Et y a ceux qui sont orphelins ou fugueurs, comme moi. Nous on se réunit et on forme une micro société ensemble. Dans not'e cas, les infos on les découvre et on les partage. M'enfin certains ont la science infuse ou bien l'omniscience, ça aide. Mais comment t'croyais que j'savais écrire et tous ces trucs qu't'as appris en cours ?

- Je viens de te poser la question.

- Si tu t'demandes si on est des malfrats, faut arrêter les préjugés : soit on a un Dessinateur soit on chasse… Et p'is juste comme ça, j'passe mes journées soit à faire rien comme un abruti dans c't appart', soit à voir des potes de l'enfance, justement. J'suis libre comme l'air, l'inactivité totale, zéro responsabilité…

- D'accord, je vois, alors avant de me rencontrer et de devenir mon Tuteur, tu jouais les pères fondateurs de micro sociétés d'enfants dérivés ?

- Ouep, affirmatif.

- C'est tout à fait louable.

- Absolument. Et sinon, t'as t'jours des questions à poser à June ?

- Des tonnes. Sur le collier en forme de trèfle qu'elle a trouvé à la fenêtre et qu'elle porte toujours sur elle. Sur le masque qu'on a trouvé au parc et celui qui le porte. Sur son soi-disant malaise cardiaque qui n'est plus crédible du tout. Sur le rêve qui me hante. Sur l'institution qu'a mentionnée Dave. Sur la panthère et le singe qui ne seraient qu'une seule et même personne. Sur le meurtre des sœurs Hopes et leur meurtrière, la botaniste du paradis. Sur mon "immunité", qu'elle a évoqué le jour de son "coming out". Et puis, bien sûr, sur sa propre nature.

À y réfléchir, ça fait vraiment beaucoup trop d'interrogations.

- Ou alors t'peux aussi pas t'prendre la tête, comme j'te l'ai dit pour ta prems leçon…

Il lâche ça après un petit silence. On tourne tous les deux la tête l'un vers l'autre.

- Oui, je pourrais faire ça.

Nouveau mouvement de nos têtes. Je saisis Luther qui passe à hauteur de ma main.

- Qu'en penses-tu, toi ?

- Jo'… T'parles à une tortue là…

- Et alors ? J'ai bien parlé à un dragon tout à l'heure !

- Ouais, et i' t'a grillé l'cerveau, on dirait…!

Comme souvent avec Dwight, ça dégénère. Je lui file un coup de coude dans les côtes, qu'il me rend, et ça termine en bataille de chiffonniers et fou rire irraisonné. Je sais ce que vous pensez, nous sommes de grands enfants, mais comment voulez-vous décompresser quand vous passez votre temps avec des questions plein la tête que toutes les créatures mythiques que vous rencontrez sont incapables de résoudre ?

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